C’est l’image d’une jonque qui vogue inconsciemment sur un fleuve jaune et qui s’accoste brutalement sur une terre d’ocre. Impossible de redresser les voiles, ni de changer de cap, la jonque se transforme en sampan – bateau habitable – s’immortalise sur cette rive et définit sans le vouloir, en 1990, le devenir d’un Jia Zhang-ke d’à peine 20 ans, qui se pétrifie devant le premier film de Chen Kaige, mettant de côté ses ambitions de publiciste et ses études aux Beaux-arts. Ce sera le cinéma, point.

Là logera Jia. Grâce à Terre Jaune, tout commence. Dans la poussière de cette terre blonde, nous ne sommes en mesure d’offrir à vos yeux qu’un grain de Sorgho rouge signé Zhang Yimou, faute de pouvoir mettre la main sur une copie du film de Kaige, semblant vouée à la disparition en occident. La graine mère de ce cycle autour de Jia Zhang-ke n’est cependant pas choisie au hasard. Digne remplaçant, Yimou a vu à travers les yeux de Kaige entre les paysages de la poussière d’or : en tant que cameraman de Terre jaune, tout s’accorde… Il est évident que nous ne pouvions débuter cette danse sans valser avec la cinquième génération du cinéma chinois : Jia Zhang-ke n’aurait lieu d’être sans elle.

Ce dernier entame une sixième symphonie cinématographique sous le fracas d’un renouveau post révolutionnaire qui poursuit l’enseignement de Kaige. À partir de Terre Jaune il n’y a plus de héros, ou, du moins, il reste impassible et presque inutile, parfois. La campagne n’est plus l’alliée du communisme, la mort guette les protagonistes, l’homme ne fait plus partie d’un collectif et “la pauvreté des paysans marque leur résistance aux changements promus par la Révolution culturelle.”

Après Tian’anmen, tout cela se confirme ardemment. Tian’anmen est une blessure profonde. Tian’anmen est incicatrisable et les cinéastes de cette période en sont tous vivement marqués : “depuis il ne s’est rien passé” lance Jia Zhang-ke dans une interview à propos du cinéma. C’est faux. Mais on ne rétorque rien. On pense silencieusement au poète Liao Yiwu et à ses mots en écho après les événements :

“Tu pleures,
Pleure ! Pleure ?
Tu es étouffé, desséché, brûlé, mais tu pleures
On t’oblige à monter sur scène
Pour t’exhiber à la vue de tous
Tes yeux éclatent, qui brûlent la foule
mais tu pleures encore”

Le premier film de Jia Zhang-ke, Xiao Wu, artisan pickpocket expose l’état d’une Chine contemporaine au milieu de rues parfois bondées, poussiéreuses et grisâtres où le “touriste qui cherche de l’exotisme” doit rebrousser chemin : “ni soie ni concubine ici, et pas non plus les rouges éclatants de l’imagerie maoïste, ou de ceux qui ne se gênait pas d’user des mêmes appâts pour prétendument les dénoncer.”

Cette même ligne de pensée ne se démembre pas de Platform à Plaisirs Inconnus. L’ennui, la jeunesse ou l’errance s’épousent aux bruits des villages, aux mégaphones de Fenyang, aux karaokés, à la radio, aux émissions de télé, aux voitures et à la musique rock. Jia Zhang-ke filme une troupe de théâtre ambulante ou un trio de paumés avec le même naturel. Tout semble digne du reportage, piqué à vif, à la va-vite, au milieu d’une Chine en pleine mutation où les nouvelles technologies fleurissent et où la spiritualité déambule vers de nouvelles formes. Au milieu des bâtiments tristes, mornes, au sein des palais écroulés s’accouplent les constructions impériales, les murailles imposantes, fantômes d’un passé encore bien trop présent : censurés par le pouvoir, les trois premiers films et les courts métrages de Jia Zhang-ke sont des produits de l’underground chinois réalisés à la sauvette, sans autorisation, ni soutien quelconque… (Jia fonde The Young Experimental Film Group, sa société de production indépendante, dès ses débuts.)

Avec Suzhou River de Lou Ye, faux jumeaux de Plaisirs Inconnus, nous entrons dans une dimension similaire (même si le cinéaste se défend d’appartenir à la sixième génération) : censure, underground, jeunesse, errance et solitude gesticulent cette fois-ci au sein de la fourmilière Shanghaienne, symbole cependant d’un certain miracle économique. Lou Ye nous permet de voguer sur la rivière Suzhou et fait intentionnellement baver nos cœurs à la poupe… Cependant – contrairement aux œuvres de Jia Zhang-ke – l’espoir dans Suzhou River ne semble pas se dissiper dans les remous d’un fleuve jaune impassible : “il ne me reste qu’à boire en attendant qu’une nouvelle histoire commence.” lance un des protagonistes. La jonque est bel et bien ivre, mais la marée ne semble pas si furieuse…

 


Le programme du cycle

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Videodrome 2
49 Cours Julien
13006 Marseille

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Les tarifs des séances cinéma

Adhésion annuelle indispensable
à partir de 3€

5€ la séance
2€ pour les moins de 14 ans
2€ pour les séances jeune public

La carte 10 séances + adhésion annuelle
45€

Ouverture de la billetterie 30 minutes avant le début de chaque séance

 

 

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