« J’ai toujours été pour tout être » ce sont les mots gravés sur la tombe de Guillaume Dustan dont l’œuvre reste méconnue, mal connue en raison des malentendus qui l’entourent. En préambule au cycle qui lui est consacré, l’association Nolimetangere propose au Videodrome 2 une programmation émancipée.


GUILLAUME DUSTAN

« La réputation sulfureuse de cet ancien magistrat devenu écrivain masque l’essentiel, soit en l’assignant à l’identité de pur provocateur, soit en le noyant dans la masse du maelström médiatique auquel, de son aveu même, il aimait à participer. Homo militant, hédoniste déclaré, apologiste des drogues, chantre du monde de la nuit, pornographe politique, autobiographe fanatique, continuateur libéral de l’esprit de 68… Dustan est l’une des très rares figures porteuses d’utopie dans le monde policé des lettres françaises du tournant du 21ème siècle gagné par un vent de nihilisme, de cynisme mélancolique et de dérision propres à ce qu’il faut bien appeler une version négative de la postmodernité. Dustan est une exception notable dont le vitalisme le pousse à mêler une écriture de soi la plus crue à une entreprise politique radicale. La lecture de ses textes renouvelle ce qu’on appelle « autofiction » : on assiste à une écriture qui refuse la séparation entre le moi et le monde, une écriture qui propose une autre façon de penser la vie, totalement étrangère à la tradition française dominée par le modèle de l’intellectualisme humaniste. Pour Dustan, la littérature comme la politique passe par le corps autant que par les formes de vie proche d’une vision Nietzschéenne de l’existence. Se référant essentiellement aux cultures pop et underground, il veut donner la précellence à tout ce qui est méprisé par la culture logocentrique de l’Occident. Son appartenance au monde homosexuel a également brouillé sa réception. La ruse du milieu littéraire consista à le réduire à un trublion interne à ce champ bien défini. Et pourtant, Dustan a produit une littérature universelle à partir d’une position ultra minoritaire au sein même d’un milieu marginal. Sa production en rafale témoigne d’une évidente énergie, d’une dépense qui est à la fois celle de la jeunesse et de l’urgence, de la lutte contre la mort et de la nécessité de prendre la parole. »

Extraits de notes de Thomas Clerc

La Mort Propagande

de Hervé Guibert (1977), Lecture d’extraits par Olivier Puech

Étude du corps jouissant, souffrant, agonisant, puis mort, La mort propagande trace en douze brefs chapitres un troublant autoportrait de son auteur. D’une violence et d’une force de provocation inouïes. C’est l’idée superbe et inquiétante qu’un premier livre (écrit à vingt et un ans) peut être prophétique et testamentaire. C’est un texte qui annonce le thème de ses livres futurs. Guibert évoque des scènes qui oscillent entre carnage et contamination : tortures, brutalité qui esquinte les corps et pollue les sexes, autant d’images qui, au regard du sida dont on ne parlera que quelques années plus tard, font figure de prémonition. Rien ne nous est épargné dans ce délire de chairs décomposées : l’excitation, mais aussi le dégoût, l’affliction – par exemple, dans ce passage où Guibert imagine son autopsie à la morgue : « C’est mon corps, c’est blême comme le bouillon des débuts de maladie, (…) c’est traître, c’est mou, c’est jaune, invertébré, chlore, flore, tout flotte, je flotte, je nage. » Ce qui est consigné sous la forme du fantasme va trouver un écho dans la vie de l’écrivain. L’expérience s’enrichit d’un vertige qui n’appartient plus seulement à la littérature. C’est ce rapport intime entre l’œuvre et l’existence qui est convoqué, imbriqué à jamais, et qui mérite de dépasser la gêne que le texte peut susciter. En effet, lorsque Guibert, par exemple dans le premier chapitre du livre, projette de montrer son corps « en décomposition, jour après jour, éclaté sous le feu », il ignore que, treize ans plus tard, se sachant condamné par le sida, il filmera, dans La Pudeur ou l’impudeur, la progression de la maladie. Car pour Guibert, écrire, c’est prendre le risque d’accueillir la mort avant la lettre, obsédante et envahissante – « Moi je veux lui laisser élever sa voix puissante et qu’elle chante. (…) Ce sera ma seule partenaire, je serai son interprète ».


Un chant d’Amour

de Jean Genet, 1950, 26 min

Brûlot charnel et sublime Un Chant d’amour demeure l’unique film jamais réalisé par Jean Genet. C’est un condensé de sa poétique qui transforme l’ordure en roses. « La caméra peut ouvrir une braguette et en fouiller les secrets. Si je le juge nécessaire, je ne m’en priverai pas. » Depuis leur cellule, deux prisonniers entretiennent une relation amoureuse grâce à un minuscule trou percé dans le mur qui les sépare. Sous la pupille dilatée de leur geôlier sadique, ils se livrent à des jeux sensuels. Tout y est de la poésie de Genet : virilité magnifiée des voyous, lyrisme sec symbolisé par ce bouquet de fleurs que tentent de se passer les deux voisins par la fenêtre, sadomasochisme théâtral, audace provocante des bites bandées… Et surtout, ce mélange incandescent d’érotisme et de tendresse. Érotique, brut et rugueux à la surface lisse, ce poème visuel se pose à mi-chemin entre le songe et la réalité, entre l’introspection autobiographique et l’expression d’un sentiment fictif. L’auteur du Condamné à mort aborde le thème du désir et du fantasme homosexuel liés à l’enfermement, à une époque où l’homosexualité était encore considérée comme une maladie mentale. Encensé par Sartre et Cocteau, le court métrage de ce révolté de la scène littéraire française a été censuré pendant 25 ans.


Race d’Ep

de Lionel Soukaz, 1979, 1h35

Ou quatre rêveries autour des grands archétypes de l’inconscient homosexuel. Rasdep, en verlan signifie pédéraste. On glisse à l’idée de race à part, appliquée aux homosexuels masculins. Le film de Lionel Soukaz et Guy Hocquenghem tente de retracer l’histoire de la différence assignée à l’homosexualité dans la société, au cours du XXème siècle. Les quatre épisodes qui constituent ce film sont plus significatifs d’expressions diverses du désir homosexuel que de l’histoire même d’une minorité affrontant les préjugés, l’intolérance, la répression. Le film confronte des éléments de pensée et de réflexion sur la fascination de l’interdit, les systèmes répressifs, l’explosion libératrice et la recherche de l’autre. Race d’Ep fait signe, d’un lointain intérieur, parfois inaccessible, et si proche pourtant, brassant une actualité foisonnante, proliférante. Cette œuvre cinématographique est enfant de l’après-mai. Elle porte jusqu’à nous la voix et les fulgurations de ce trop bref temps d’exubérance, de convulsions paroxystiques, et de l’âme, et du corps. Elle touche aussi à ses confins, les années où, après le fugace arc-en-ciel des utopies de 68, se profile un temps de glaciation des sensibilités, des rapports humains, auquel Félix Guattari a donné le nom d’Années d’hiver. Tournant des années 70-80 où, à la vie, se marie alors le désespoir. Cela, le film le crie, le jette à la face du spectateur, dans un brassage d’éclats de couleurs et de sons. Le mariage du ciel et de l’enfer des années du No future. Désespoir peut-être, intérieur et clamé ; mais vitalité avant tout, c’est le refrain du mot « vivre », flashé sur l’écran en lettres de feu. Lettres qui émergent d’un hors-champ invisible, dansent, se rassemblent, composent le sens d’un instant immédiatement défait, pour se refaire ailleurs, avec une insistance lancinante, obstinée. Obsessionnellement. Ce vivre est l’appel, le coup de poing asséné, l’affirmation en dépit de tout, contre toute négation, devant un univers qui explose. La vie sourd, se fraie sa place à travers chaque interstice qu’elle occupe à tout prix : visages, corps, sexes, étreintes, paradis aussi, ciel des drogues disloquant les pans éclatés des institutions qui se dissolvent, d’un monde dont les murs tombent en ruines. Plus encore que le retour d’un refoulé sous l’épais manteau des conventions, c’est l’explosion du désir répondant à celle de la violence de l’ordre social.


LIONEL SOUKAZ

 

Le parcours du cinéaste-poète Lionel Soukaz est indissociable de nombreux mouvements radicaux, politiques, intellectuels et artistiques de 1970 à nos jours. Né en 1953, il côtoie au début des années 1970 le Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire (FHAR) avant de rencontrer René Schérer et Guy Hocquenghem avec qui il réalise en 1978-1979 Race d’Ep, une histoire d’un siècle d’homosexualité, classé X par la Commission de contrôle des films cinématographiques. En réaction contre la censure, Lionel Soukaz tourne l’année suivante Ixe, film de révolte et de “vitalité désespérée”.

 

 


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