Après Mémoires sauvées du vent, Feux, Terre(s) Promise(s) est le troisième cycle (3/4) d’une programmation sur les quatre éléments au cinéma.
destin tenace
cris debout de terre muette
la splendeur de ce sang n’éclatera t-elle point?
Au bout du petit matin ces pays sans stèle, ces chemins sans mémoire,
ces vents sans tablette.
Qu’importe?
Nous dirions. Chanterions. Hurlerions.
Voix pleine, voix large, tu serais notre bien, notre pointe en avant.
Cahier d’un retour au pays natal, Aimé Césaire
La terre, la poussière, la boue, sont des motifs qui habitent les films de ce cycle jusqu’à l’épuisement. C’est dans cette glaise commune qui s’étoile sur les routes des protagonistes que les cinéastes fouillent pour déceler les mêmes signes, les mêmes lumières, les mêmes secrets. Que ce soient les rois mages qui se trompent de route, les bambaras qui fuient l’oppression de la sorcellerie , les enfants immigrés du Borinage contraints de faire des terrils leurs montagnes ou encore les Ganigas reniant en partie leurs lois ancestrales pour gagner le nouveau monde, tous tentent d’échapper au même fatalisme. Exilés du monde, exclus de l’espoir, de la terre promise, sont-ils, pour autant condamnés au désespoir? Ces condamnés au désert, à l’égarement ne peuvent ils pas faire de leurs égarements chemins, du désert la promesse d’une autre terre, de l’exil leurs nouvelles patries? Renégats contraints, c’est dans le silence des routes qu’ils laissent derrière eux les spectres du passé. Si les promesses déchues y sont toujours ramenées à la poussière et ne peuvent se mouvoir vers un ailleurs, c’est parce que les films de ce cycle font front commun et nous disent: c’est ici que tout se trouve, c’est peu mais tout t’est donné, débrouille-toi, sors de la boue, laisse les morts enterrer les morts, entre vivant dans la vie nouvelle.
La Terre d’Alexandre Dovjenko, ouvrira le cycle : ça commence par une mort, celle d’un grand père dans un verger. Oui, mais voilà, il y a un visage qui scrute le lointain, des pommes et le vent qui répand la nouvelle. On dirait un poème de Rilke. Il n’y a presque que ça, et la mort du vieillard est acceptée, comme un symbole qui tombe trop lentement par terre, comme des feuilles tomberaient dans le champ. L’excès de silence semble rompu dans la danse, on refuse la poussière, ce sont les luttes à venir, la collectivisation des terres, qui se confondent maintenant avec les rêves. Le film ne dit jamais plus que ça, la mort viendra, mais la vie nouvelle, la vie charnelle nous est rendue, désinvolte et libre, parce que l’on a cessé d’être enfermé en soi même. Le cinéma de Dovjenko, fils de paysan ukrainien, est tendu vers un dessein limpide: rendre la terre usurpée aux Hommes, en refaire un lieu de désir, filmer le monde comme une terre immémoriale.
« Ce chien est à moi », disaient ces pauvres enfants. « C’est là ma place au soleil. » Voilà le commencement et l’image de l’usurpation de toute la terre. Aux enfants, à qui nous n’avons pas même laissé la possibilité de se défaire de l’adage de Pascal, Paul Meyer dans Déjà s’envole la fleur maigre, redonne si ce n’est du possible, de la visibilité au refus ordinaire de se soustraire à la violence de l’ordre des choses. Au cœur des paysages noircis du Borinage, hantés par les fantômes des mineurs morts et du chômage, les fils d’ouvriers se réapproprient des territoires oubliés, inventent des chemins de traverses dans les terrils, ces déserts qu’on croyait sans promesse. Sur le mode de la farce, en filigrane, c’est de la même glaise qu’est fait La cabale des Oursins. Traversée buissonnière et bouffonne, où Luc Moullet tente de faire tomber à l’eau le complot ourdi par la rigidité des cartes, pour qu’enfin notre regard puisse se réincorporer avec ironie, souplesse et innocence dans les territoires.
Ensuite viendront deux récits mythologiques de la terre retrouvée, qui ne démystifient rien, installent leurs héros dans des réalités triviales et renouent avec une magie nouvelle, loin des esbroufes, proche des paysages. D’abord le film de Souleymane Cissé, Yeelen, conte initiatique où la sorcellerie fait loi : égorgement de poulet, pilon tueur, fétiche oublié, chimère ancestrale. Le ciel, la terre, le soleil, les animaux sauvages, les guerres, les rois, les épouses. Chaque chose trouve sa place dans ce film, excepté Nianankoro, jeune Bambara, maudit par son père, condamné à l’errance sur les territoires Peuls, ne cherchant dans l’exil, que le retour à soi. Puis Le chant des oiseaux d’Albert Serra, sorte de comédie vagabonde où des rois mages flegmatiques et essoufflés, plus clochards que royaux , musardent, racontent leurs rêves de géants sautant de nuages en nuages, de chèvre mangeant le loup… Pendant leur traversée du désert, les corps des rois sont ramenés à une réalité tellurique, ils épousent étrangement le sacré : tout en se rendant à la terre, ils s’y refusent; tout comme ils l’épousent – par leurs paroles- ils s’y arrachent.
Nous cheminerons ensuite en territoire Ganaga. First contact et Joe Leahy’s neighbours sont les deux premiers films d’un triptyque qui retrace soixante ans d’histoire sur des tribus papoues isolées. Si First contact, malgré la rigueur et la justesse de ton, reste, dans la forme, assez sobre et épouse des lignes conductrices qu’impose un cinéma de télévision, Joe Leahy’s neighbours, véritable film de montage, affilié aux grands films du cinéma direct (de Wiseman à Ivens), embrasse avec exactitude et clairvoyance la multiplicité des destins qui fondent ce peuple. Bob Connolly et Robin Anderson en filmant la tragédie Papoue, renvoient aux couches désertes des mémoires de notre temps, exhument nos propres fantômes. Le chant du paradis promis est d’emblée celui d’un paradis perdu, le printemps y porte un masque funèbre.
Le cycle se clôturera, avec le Trésor de la Sierra Madre, grande fresque circulaire sur l’avarice où l’exaltation prend le pas sur l’échec. Exilé au Mexique, Humphrey Bogart, clochard céleste à la figure cadavérique, entamera un voyage vers la richesse pour s’extraire du tombeau. Ruée vers l’or en chute libre. En secret Huston semble murmurer: Il faut rendre l’or au vent, voilà le prix à payer pour dépoussiérer le regard.
Le programme du cycle
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