Sur les traces de Mamani Abdoulaye
de Amina Abdoulaye Mamani, 2019, Niger, Burkina Faso, France, 1h03
Abdoulaye Mamani a lutté toute sa vie pour la liberté des peuples et l’indépendance de son pays, le Niger. Journaliste, militant, écrivain, il est reconnu en tant qu’homme de lettres mais son action politique demeure largement ignorée. Sa fille retrace son parcours, vingt-trois ans après sa mort.
Sur les traces de Mamani Abdoulaye | Bande annonce
Présentation de la carte blanche | Fatima Sissani
Les rétrospectives de cinéma africain subsaharien en France contiennent souvent deux écueils. D’abord elles rendent hommage à des cinéastes masculins, les pionniers a-t-on coutume d’entendre. Et s’il n’est nullement question de nier le talent des Ousmane Sembène, Souleymane Cissé, Jibril Diop Mambety… et l’importance de leur œuvre, il faut rappeler même si elles sont beaucoup moins nombreuses que les hommes, qu’il y a eu aussi très tôt des femmes cinéastes, dans cette partie du monde : Safi Faye, Thérèse Sita-Bella, Sarah Maldoror. Des pionnières donc. Rien d’original à constater que les femmes sont encore une fois les oubliées de l’histoire. Mais la rétrospective consacrée à Sarah Maldoror au Palais de Tokyo et bientôt au Videodrome 2 semble indiquer quelques changements. Le renforcement du mouvement féministe auquel nous assistons depuis quelques années n’y est sans doute pas étranger. Le deuxième écueil, c’est de rendre hommage, dans le cadre de ces rétrospectives, à un cinéma passé, comme s’il ne s’était pas renouvelé, comme s’il n’y avait pas eu d’autres générations de cinéastes qui auraient succédé aux premier•es. Il y a comme une habitude, une manie de regarder l’Afrique-les Afriques comme un continent en dehors de la modernité. Enfin, il est difficile d’accéder à ce cinéma en dehors des festivals consacrés aux cinémas d’Afrique, car les moyens avec lesquels il est réalisé rivalisent difficilement avec les productions occidentales.
C’est pourquoi j’ai proposé, dans cette carte blanche qui m’est offerte, qu’on rende hommage à une pionnière, Safi Faye et à une jeune cinéaste, Amina Mamani Abdoulaye. C’est un parti pris résolument féministe qui caractérise donc cette carte blanche.
Safi Faye est la première femme d’Afrique subsaharienne à tourner des films. Quand j’ai découvert, par hasard, Kaddu Beykat (Lettre paysanne), son premier long métrage documentaire tourné en 16mm que nous vous proposons de voir, j’ai été éblouie par la force poétique et politique de ce film. Il est tourné en 1975 en noir et blanc dans son village natal, en pays Sérère au Sénégal. Sous la forme de l’adresse, une lettre à son père, la réalisatrice raconte, par petites touches subtiles sans jamais céder au discours, en cinéma direct ou dans des séquences mises en scène liés par une histoire d’amour, dans une voix , un rythme, une langue d’une poésie vertigineuse, comment la culture de l’arachide introduite pendant la période coloniale puis érigé en monoculture a entrainé la ruine des sols et des paysans de son village, contraignant les hommes jeunes à partir travailler dans les grandes villes. Nous savons la suite puisque la plupart du temps ça n’est que la première étape d’un exil plus lointain à l’extérieur du pays puis du continent, en général vers l’Europe, vidant des villages entiers de leur force vive pour devenir le réservoir de main d’œuvre du monde occidental. La petite et la grande histoire.
Dans une leçon de cinéma au Festival du film de femmes de Créteil, Safi Faye a parlé de son itinéraire de cinéaste. Force tranquille et déterminée, elle explique sa vision du monde et du cinéma d’une voix trainante, entrecoupée de longs silences, prenant le temps qu’il lui faut, indifférente semble-t-il à l’effet hypnotique qu’elle produit, usant parfois d’un humour grinçant juste ce qu’il faut. C’était en 2010.
Extraits : « Je voulais connaître l’impact qu’avaient les esprits dans la religion authentiquement africaine…donc j’ai basé toutes mes études d’anthropologie, ethnologie sur les religions que j’appelle primitives mais je ne permets pas à un occidental de les appeler primitives. » « (…) comme j’étais la première femme africaine à oser, on m’a prise à Louis Lumière et puis j’ai fait cinéma et photographie. Et la première année, avant même de terminer j’ai osé faire un film dans lequel j’ai tourné. Et on a dit voilà une négresse fait des films (…) ». « Je fais beaucoup de documentaires, beaucoup de docu drama. Ça veut dire beaucoup de documentaires rejoués et pas une grande mise en scène. Et autour de ces éléments, converge une petite histoire et souvent c’est une histoire d’amour qui fait le lien. » « J’ai choisi le monde rural parce que je suis une paysanne, parce que mon père a été un peu à l’école , ma mère jamais. Ils sont venus en ville pour travailler (…). Et j’ai voulu mettre l’accent sur ce monde qui seul peut sauver l’Afrique, arrivé à son autosuffisance alimentaire. On n’a pas d’industrie, on n’a pas de pétrole, donc il faut cultiver pour que les enfants qui naissent puissent manger à leur faim. Dans tous les sens, j’ai soulevé le problème rural. J’ai imposé que je suis une paysanne, que je ne suis pas de la ville et qu’aucun africain n’est de la ville. »
On dit tout le temps Safi, la documentaliste, elle fait des documentaires, des nouveaux mots, docu-drama….Tous les adjectifs et c’est jamais fiction. Alors j’ai dit maintenant je vais voir ce que c’est que la fiction. Et je me suis mise à écrire. Trouver de nouvelles images. Et j’étais pas convaincue que ce serait la fiction…j’ai écrit, j’ai adapté, j’ai dessiné, j’ai demandé des avis. Mais après Mossane je ne suis pas convaincue que je suis capable de faire de la fiction parce que mes imaginations viennent de ce que j’ai vécu, des valeurs qu’on m’a inculquées, des valeurs qu’on m’a données. Je pense que c’est très difficile pour une africaine de mettre une frontière entre la fiction et le documentaire…(…).Mossane n’a pas été conçu uniquement par moi. Si les images sont belles dans une Afrique plein de problèmes, pleine de misère c’est parce que le plus grand cameraman allemand, le cameraman de Fassbinder, Jürgen Jürges…il a lu mon histoire, il l’a aimé et il l’a filmé. (…) deux ans avant le tournage, on allait tous les ans au Sénégal. Il étudiait les couleurs, il étudiait les lumières pour être le plus prêt de ce que j’avais écrit parce que je voulais la fille la plus noire noire jusqu’à être bleue… » « j’ai refusé presque jusqu’en 96 d’aller dans les festivals. Je travaille dans mon coin, j’envoie mes films. On n’a pas besoin de me voir. Surtout que j’ai toujours estimé que le travail appartient au public. C’est un supplice là ce que je fais. On ne doit rien expliquer dans sa conception, dans sa démarche. Les images on les aime ou on les aime pas. L’histoire on l’aime ou on l’aime pas. »
Amina Mamani Abdoulaye. Son deuxième long métrage documentaire, Sur les traces de Mamani Abdoulaye s’inscrit, nous semble-t-il, dans le prolongement du Kaddu Beykat de Safi Faye en ce sens qu’il évoque l’histoire politique de l’Afrique Subsaharienne et qu’il se déroule aussi dans le rythme d’une voix off qui dit une lettre, celle de la réalisatrice à son père. Ce père qu’elle n’a pas connu car très jeune quand il est mort, elle va partir sur ses traces pour tenter d’en dresser un portrait, pour elle-même d’abord, 26 ans après sa mort.Militant, syndicaliste, écrivain, journaliste, militant pour l’indépendance du Niger et panafricaniste, Mamani Abdoulaye a été effacé de l’histoire politique du Niger car sa mémoire encombrait la dictature . Au fil des archives exhumées, des témoignages de ses anciens compagnons de lutte essentiels pour comprendre ce qui s’est joué au moment de l’indépendance du Niger et dans laquelle la France s’est encore une fois déshonoré, la figure de cet homme gagne en densité et l’on assiste, lentement et progressivement à la filiation intellectuelle, politique et affective qu’elle reconstruit avec son père au fil de la narration. Poète il a laissé une poésie de combat. Ecrivain il a écrit notamment le grand Sarrounia qui raconte la résistance menée par une femme contre la pénétration coloniale. L’écriture a permis à Mamani Aboulaye de résister aux terribles conditions de détention qui lui ont été infligées par le pouvoir nigérien. Il le raconte, dans une archive, avec des mots forts. Et c’est bon à entendre.
Fatima Sissani
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