Trois films magnifiques ressortent en salle aujourd’hui, bijoux du tournant des années 70-80 produits par Diagonale. Les Belles manières signé par Jean Claude Guiguet (son premier long) met en scène avec profondeur et finesse le malaise sociale et la lutte des classes dans le cocon raffiné parisien d’une bourgeoise intellectuelle interprétée par Hélène Surgère. Camille, brillamment interprété par Emmanuel Lemoine, diamant brut, répond à l’offre d’emploi de cette grande bourgeoise séductrice, à la générosité vénéneuse.


Les Belles Manières
de Jean-Claude Guiguet – 1978, France, 1h35

Camille, jeune prolétaire d’une vingtaine d’années, arrive à Paris où, en l’échange d’un logis, il rend service à Hélène, une femme d’une cinquante d’années, en s’occupant de son fils qui vit reclus dans sa chambre. Interprétée par Hélène Surgère, cette bourgeoise intellectuelle accueille Camille avec une étonnante bienveillance, jusqu’à ce que ce dernier se rende compte progressivement que ce qu’il prend pour des marques d’attention à son égard ne sont en fait que des bonnes manières ou bien pire, de la pitié.

L’histoire racontée dans « Les Belles Manières » n’est pas un fait divers singulier, et ne cherche pas à se prendre pour une fable exemplaire. Elle respecte l’autonomie et la couleur particulière de chaque personnage comme elle refuse les charmes de l’anecdotique et les pièges du naturel. La seule ligne autour de laquelle j’ai développé l’intrigue obéit à un sentiment qui s’est imposé au fur et à mesure des progrès du récit. Ce sentiment peut se résumer en quelques questions : à quoi ressemble les rapports qu’un régime libéral entretient avec ceux qui lui sont soumis ? Ont-ils une nature ambig¨J’ai représenté le pouvoir libéral par une belle femme qu’interprète ici Hélène Surgère. Son pouvoir, c’est sa séduction et non ses possibilités répressives devenues invisibles derrière l’image d’un charme constamment opérationnel. Je ne sais pas si cette stratégie du pouvoir est consciente a priori. En ne l’enfermant pas dans un postulat, j’en observe mieux les diverses manifestations : il s’agit d’un pouvoir ouvert, non dogmatique, évoluant avec le mouvement général des m½urs qui agitent l’air que nous respirons. Je souhaite que ces quelques remarques n’apparaissent pas comme un mode d’emploi ou une mise en demeure. C’est en dehors, à côté, dans la marge de ces mots-là que le film commence. Je ne cherche pas à convaincre mais à troubler. À la modernité intimidante d’une orme éclatée, je préfère une mise en place aux contours simples, ne perdant ainsi jamais de vue le mot de Cocteau : « On ferme les yeux des morts avec douceur ; c’est aussi avec douceur qu’il faut ouvrir les yeux des vivants. » Jean-Claude GUIGUET

Un certain refus du naturel se dégage du jeu des acteurs, et notamment à travers leur attitude face à la caméra. Ce sont surtout les corps des bourgeois, dont le personnage d’Hélène est l’incarnation par excellence, qui par leurs postures recherchées et leurs gestes hiératiques confèrent aux images une esthétique picturale classique que renforcent les couleurs profondes de l’image de Georges Strouvé[1]. Les références y sont d’ailleurs nombreuses : sur les murs des nombreuses pièces du grand appartement d’Hélène sont affichées photographies et tapisseries en tous genres. À l’image des tableaux qui ornent son environnement, Hélène prend la pose et se contemple intérieurement. Ainsi, ces corps aux attitudes figées de statues s’opposent aux mouvements précis de Camille dont la chorégraphie rappelle les personnages bressonniens de Pickpocket ou d’Un condamné à mort s’est échappé. Corps (social) étranger, Camille affiche, lui, un rapport au monde qui passe avant tout par le labeur et des aptitudes manuelles. Ses gestes qui sont ceux d’un ouvrier aliéné par le travail sont pourtant considérés par le fils d’Hélène comme l’expression même de la liberté ; lui, a renoncé à sa position sociale de fonctionnaire qu’il considère comme aliénante. À travers Camille, il fantasme la supposée liberté de l’homme prolétaire, mais se fait pourtant servir par ce dernier, inscrivant donc la soumission au cœur de leur rapport.

L’héritage du réalisme poétique

Jean-Claude Guiguet s’attache à mettre en valeur les inégalités sociales notamment à travers l’intervention de plusieurs personnages qui s’apparentent alors pour quelques instants aux figures emblématiques du réalisme poétique[2] : une marchande de journaux explique ses conditions de travail déplorables, Camille raconte les multiples emplois précaires qu’il dû enchaîner, sa sœur évoque la trajectoire qui l’a menée à faire le trottoir… Autant de discours auxquels se rend très attentive Hélène. La façon de centrer l’attention sur les rapports des personnages aux objets qui les environnent pourrait inscrire ce film dans la lignée de Robert Bresson. En effet on y sent une attention particulière portée au déploiement des gestes, à la manipulation des objets ; autant de choix qui permettent à Guiguet d’aborder de manière subtile la problématique des rapports sociaux. D’autres éléments rapprochent encore le film de l’univers bressonnien : la mansarde de Camille évoque les décors de Pickpocket, tandis qu’Hélène évoque avec légèreté une tendance familiale à la kleptomanie.

Loin d’être une fable sociale réductrice tendant à l’universalisme, Les Belles Manières conte l’histoire particulière d’un homme prolétaire au milieu d’un environnement bourgeois[3]. À travers le rapport aux objets Guiguet met en scène l’inadéquation absolue qui existe entre Camille et cet univers, et révèle ainsi une lutte des classes insoluble. Finalement, ces belles manières évoquées par le titre semblent dénoncer ces postures hypocrites qu’adoptent successivement les personnages appartenant à la classe bourgeoise. L’attention qu’Hélène porte à Camille relève plutôt de l’apitoiement intéressé que de la bienveillance et les grandes palabres de son fils sur l’aliénation de la bourgeoisie semblent ridicules puisqu’il exploite lui-même Camille en se faisant servir par lui. Autant de personnages qui sont le reflet d’une certaine bourgeoisie intellectuelle qui prend la pose : elle expose ses principes dans les discours sans jamais les adopter en réalité.

Jean-Claude Guiguet

Né en 1939, Jean-Claude Guiguet fut critique de cinéma dans diverses revues et notamment “Image et Son” de 1970 à 1975 ; de 1975 à 1977, il rédigea la Chronique cinéma de “La Nouvelle Revue Française” (Gallimard). Il fut l’assistant de Paul Vecchiali sur “Femmes-Femmes” (1974) et “Change pas Demain” (1975), décorateur et costumier pour “Le Théâtre des matières” de Jean-Claude Biette. “Les Belles Manières” est son premier long métrage. Critique au regard et aux perceptions aiguës, cinéaste ambitieux pour le cinéma, Guiguet a débuté à la bonne école, assistant de Paul Vecchiali qui, en créant Diagonale, a permis la naissance d’une génération de cinéastes passionnants.


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