À l’occasion de la parution du livre Artavazd Péléchian, une symphonie du monde, sous la direction de Claire Déniel et Marguerite Vappereau (éditions Yellow Now / Côté cinéma), nous invitons Marguerite Vappereau à nous présenter le travail de ce cinéaste.
« Je suis persuadé que le cinéma peut véhiculer certaines choses qu’aucune langue au monde ne peut traduire. » Artavazd Péléchian énonce en quelques mots un acte de foi dans les puissances poétiques propres au cinéma. Le cinéma invente une forme ineffable, faite de sons et d’images, que le langage ne peut épuiser. En quelques films incontournables – Au début (1967), Nous (1969), Les Habitants (1970), Les Saisons (1975-1977), Notre siècle (1982), Fin (1992), Vie (1993) – et un livre théorique (Moe Kino / Mon cinéma) il invente un cinéma de pure émotion, entre poésie et musique, qui participe à renouveler la théorie classique du montage héritée des grands maîtres soviétiques, Eisenstein et Vertov. Dans un montage serré, ses films construisent des unités dynamiques et mouvantes pour un cinéma pleinement sonore. Enfant de l’Union soviétique, ce maître du cinéma arménien écrit une ode héroïque et lyrique aux peuples en marche, aux travaux immémoriaux des hommes, à la conquête du ciel et de l’espace. Critiques et cinéastes sont réunis dans cet ouvrage pour questionner l’œuvre de cet inventeur de cinéma qui raconte l’histoire du siècle, entre élans, espoirs et inquiétudes. Comment le cinéma de Péléchian entre-t-il en dialogue avec notre temps ?


Au début

Artavazd Pelechian – 1967, URSS, 10 min

Le film est dédié au 50ème anniversaire de la Révolution d’Octobre (1917). Pelechian expérimente avec ce film ce qu’il ne cessera de développer dans les films ultérieurs, à savoir un montage d’images préexistantes, alternant passé, présent et futur, dont la trame forme une représentation symbolique qui dépasse la seule histoire de la Russie. On y voit des mouvements de révolte populaire, des défilés, des figures emblématiques, cotoyer des images d’explosions, de cadavres ou de machines en mouvement, avec ce flux rythmique si particulier à l’esthétique du cinéaste. 

 

Nous

Artavazd Pelechian – 1969. URSS. 27 min

Un montage alternant images préexistantes et fabriquées, qui composent une lyrique inquiète, d’un humanisme vibrant, ou les regards succèdent aux visages, où le peuple arménien semble résister à toutes les blessures, à toutes les épreuves dont le quotidien rappelle symboliquement la teneur : dramatique avec un enterrement, comique et tragique à la fois, lorsque le conducteur d’un triporteur disparaît dans les gaz d’échappement du véhicule qui le précède, bouleversante lors de la séquence des retrouvailles, où hommes et femmes s’embrassent, s’enlacent, jusqu’au vertige. Sous le regard d’un visage d’enfant, visage primitif, visage douloureux dont la répétition souligne une volonté farouche de partage, de reconnaissance, et de paix universelle.

 

Les saisons

Artavazd Pelechian – 1972, URSS, 29 min

Peut-être l’un des plus beau film du cinéaste, c’est en tout cas celui qui lui assure aujourd’hui une reconnaissance internationale. Les Saisons, est un très beau poème où sont évoqués, en une vaste parabole, les moments déterminants de l’histoire arménienne, depuis les origines volcaniques, jusqu’à la période industrielle. Mais au-delà de cette symbolique où l’on peut lire aussi l’histoire des migrations du peuple arménien, demeurent des séquences étonnantes et inoubliables : l’inertie lente et aventureuse d’une transhumance, des corps en apesanteur, comme passant, infiniment, par-dessus les terres, ou par-dessus les flots, méprisant tous les ancrages, une vision ludique, apaisée, de la moisson et de la fenaison, et ce rythme, surtout, ce rythme qui nourrit l’émotion, sans discours et sans commentaire, et qui fait de toute épreuve le témoignage d’un humanisme salutaire et sublime.

 

 

Notre siècle

Artavazd Pelechian – 1982. URSS. 47 minutes.

Toujours des processions, à la gloire de  » notre siècle « , toujours cette impression d’une menace qui ne se dit pas, d’une rumeur qui se manifeste, mais ne s’incarne pas ; notre siècle, on ne l’oubliera pas, c’est le siècle des conquêtes et des génocides, le siècle de toutes les vanités aussi : les hommes vont y faire l’épreuve de toutes leurs prétentions. Ils lutteront contre les déterminismes de la nature, fabriqueront leur légende à coup de travestissements, de protocoles intimidants, d’audaces et d’entêtements, pour ne laisser en guise de témoignage que quelques images qui redisent, inlassablement, l’absurdité de cette vocation instinctive et totalitaire à la colonisation et à l’occupation des mondes.


 

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