Pour clore le cycle de projections sur la construction des masculinités, initié autour d’un premier volet sur le jeu, le collectif de spectateurs-programmateurs de Peuple & Culture Marseille a cette fois ci choisi de parler d’amour.
Espace d’Eléonor Gilbert et Playing Men de Matjaz Ivanisin, les deux premiers films présentés, permettaient de saisir comment l’identité masculine dominante s’exprime par le jeu, et de quelle manière ces jeux révèlent les mécanismes d’une virilité construite
Si le jeu apparaît alors comme un espace politique, ceci vaut également pour l’amour, comme le montre justement le film d’Alice Diop Vers la tendresse, César du meilleur court-métrage 2017.
Né d’un atelier sur l’amour mené par la réalisatrice à La Courneuve, Alice Diop y interroge les postures de la virilité attribuées aux jeunes hommes dits « des quartiers ».
Cheminant entre documentaire et fiction, le film se base sur les entretiens réalisés avec quatre jeunes hommes, sur lesquels sont superposées des scènes de vie quotidienne tournées avec un autre groupe d’hommes. Cette distanciation permet à la fois de « donner à ces voix une forme d’universalité, en les sortant des corps de ceux qui les énoncent » comme l’explique la réalisatrice, et de questionner l’imaginaire du spectateur sur les représentations dominantes et stéréotypées de ces jeunes hommes.
Vers la tendresse
Alice Diop – 2016, France, 39 min
« Ce film est une exploration intime du territoire masculin d’une cité de banlieue. En suivant l’errance d’une bande de jeunes hommes, nous arpentons un univers où les corps féminins ne sont plus que des silhouettes fantomatiques et virtuelles. Les déambulations des personnages nous mènent à l’intérieur de lieux quotidiens (salle de sport, hall d’immeuble, parking d’un centre commercial, appartement squatté) où nous traquerons la mise en scène de leur virilité, tandis qu’en off des récits intimes dévoilent sans fard la part insoupçonnée de leurs histoires et de leurs personnalités. » (Les films du Worso)
Critique de François Ekchajzer pour Télérama :
Rares étaient les téléspectateurs devant France 3, le 21 novembre à minuit passé, pour voir Vers la tendresse, d’Alice Diop. Ce magnifique moyen métrage consacré à l’amour tel qu’il se vit (difficilement) dans les « quartiers » méritait mieux que cette programmation en forme d’enterrement. Sa réalisatrice souhaitait depuis longtemps questionner les rapports entre garçons et filles, dans cette banlieue où elle a grandi et où elle a tourné la plupart de ses films.
« Pour m’aider à y réfléchir, j’ai réuni à La Courneuve quatre jeunes hommes, avec lesquels j’ai échangé autour de leur vie intime, se souvient-elle. J’avais apporté une caméra, afin de conserver une trace de nos conversations comme l’aurait fait un dictaphone. Je n’imaginais pas que ce qu’ils me diraient serait aussi bouleversant ; que la matière de mon film serait là. » Si les stéréotypes machistes et misogynes pullulaient dans leurs propos, la confiance qu’Alice Diop avait su instaurer avec eux les avait amenés à dévoiler des fragilités généralement tues. Sous la brutalité affichée de leur sexualité perçaient la frustration et l’impossibilité de nouer avec l’autre sexe une relation satisfaisante. Mais difficile d’envisager un documentaire à partir d’images aussi maladroitement tournées. Et pas question de demander à ces garçons de répéter leurs témoignages dans un autre décor, devant une autre caméra.
« A Montreuil, des garçons traînent devant chez moi du matin jusqu’au soir. Je me suis dit qu’ils pourraient peut-être porter leur voix et je suis allée les voir. Je leur ai proposé de travailler avec moi et j’ai organisé un atelier avec quatre d’entre eux. En entendant ce que j’avais filmé, ils ont prétendu ne pas s’y reconnaître ; mais m’ont parlé différemment lorsqu’on s’est vus en tête-à-tête. » Elle a isolé des scènes de leur vie quotidienne susceptibles d’être jouées par eux et d’éclairer certaines paroles recueillies auprès de ses premiers interlocuteurs. C’est ainsi qu’elle nous les montre à la terrasse d’un kebab ou en voiture, s’en allant passer comme tant d’autres le week-end à Bruxelles. « Ils y prennent des cuites, dépensent leur argent avec des prostituées du « quartier rouge », où abondent les plaques immatriculées 93, 94… et en reviennent tout penauds le lundi, aux aurores. » Cette virée bruxelloise constitue l’un des moments clés de Vers la tendresse. Le plus révélateur de la solitude de jeunes hommes incapables d’envisager l’amour sur un mode moins fruste. Leur répond, en toute fin de séquence, le regard hypnotique d’une femme puissante, comme hors d’atteinte derrière sa vitre. « Ça n’était pas une prostituée, confie la documentariste. Je l’ai vue dans un bar, je l’ai trouvée très belle et elle a accepté de jouer dans mon film. Elle me rappelait certaines images de la photographe sud-africaine Zanele Muholi, qui s’est représentée dans les vitrines d’Amsterdam. »
Jamais avant cette expérience Alice Diop ne s’était aventurée de la sorte dans la mise en scène, jusqu’aux limites de la fiction. « Chaque film doit inventer sa propre forme, dit-t-elle. Etre amenée à dissocier mes sons d’images inexploitables pour les poser sur d’autres, qui ne leur correspondaient pas, m’a permis de m’éloigner du cinéma direct tel que je le pratique. Mais aussi de donner à ces voix une forme d’universalité en les sortant des corps de ceux qui les énoncent. »
Loin de se limiter à une image désespérante de l’amour, le film donne à son titre tout son sens dans sa seconde moitié, qui tire parti de la parole lumineuse d’un homosexuel, ami de la réalisatrice. Puis partage l’intimité d’un jeune couple de la Cité des 3000 (Aulnay-sous-Bois), dans une chambre d’hôtel où ils passent le week-end, faute de pouvoir s’aimer au domicile de leurs parents. Oui, semblent-ils dire aux jeunes hommes du début, l’amour dans les « quartiers » reste possible. « L’un d’eux, pour qui les femmes sont des « putes », des « salopes », m’a surprise en me demandant l’enregistrement de notre conversation. Je lui avais glissé qu’il était digne d’être aimé. Ce qu’aucune femme, avant moi, ne lui avait jamais dit. » De la violence misogyne à la possibilité d’aimer : tel est le mouvement ascendant de Vers la tendresse, film d’une grande beauté et porteur d’espoir.
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