» Je trouve aussi que l’oppression que les gens subissent de façon tout à fait ordinaire est criminelle. Il faut décréter que tout est criminel (…) On lit des journaux, on entend des nouvelles et on est de plus en plus fâché de ce que l’on entend, par tout ce que l’on voit. J’ai fini alors par ne plus vouloir faire autre chose que montrer ce qui est criminel »
Rainer Werner Fassbinder
S’il est un mot associé à Rainer Werner Fassbinder, personnalité de la démesure dont la biographie ponctuée de scandales et d’éclats a parfois occulté l’œuvre pléthorique, c’est celui de « monstre » : monstre du cinéma et cinéma des monstres, monstre de productivité… Or, le monstre, au delà d’être une créature dont l’apparence ou le comportement surprend par son écart avec les normes d’une société, est le monstrum de « montrer », « indiquer » dont le terme vient du lexique de la divination antique. Il est aussi celui qui se montre, capable de mettre du désordre dans l’ordre ou le contraire, provoquant soit la terreur, soit l’admiration. RWF fort de 43 films à sa mort en 1982, tous reliés par la cohérence stylistique d’un work in progress permanent, souhaitait construire son œuvre comme une maison où certains films seraient les fenêtres, d’autres les murs, d’autres la cave. Il voulait être critique et populaire. Il n’a eu de cesse de critiquer la société allemande et d’en travailler la mémoire et les dénis.
La mise à distance critique dans le plaisir du film est le pari qu’a fait RWF en tordant les ressorts du mélodrame, du film noir, de l’image. Se situant entièrement à l’écart de la tradition du réalisme cinématographique, RWF s’attachait à créer des univers rigoureusement artificiels. Il déployait une politique de l’intersubjectivité (le privé est politique) à travers une profusion de personnages, de toutes les classes et de tous les milieux sociaux pris au piège dans des dévorations mutuelles et des dépendances. Il organisait formellement et structurellement ses films autour de nœuds de plus en plus serrés de l’exploitation réciproque face à un spectateur impuissant et voyeur. Celui-ci demeure dans l’impossibilité de se positionner sans contradiction par rapport à ces personnages, dans un mélange d’attraction et de répulsion. RWF tenait ferme à porter à l’écran la marginalité, celle de ceux que désespérait leur condition face à une bourgeoisie sûre d’elle-même, conformiste, bien-pensante, celle de ceux qui ont peuplé son enfance : prostituées, travestis, tapineuses, immigrés, Gastarbeiterer du miracle économique allemand. Entre sadisme et masochisme dans des histoires simplifiée jusqu’à la provocation, il confère à chaque personnage le rôle que la structure sociale existante lui impose, tout en prenant le parti des personnages en apparence sans importance, insignifiants, mis à nu avec tendresse jusqu’à la médiocrité. Cette médiocrité que distille une société sclérosée et figée dans les fantômes de son passé est celle que doit questionner le spectateur toujours en ligne de mire à qui est laissé le soin de nourrir une relation à sa propre réalité. Tous les films présentés dans cette traversée ont en commun de raconter des histoires d’amour. Et toutes ces histoires d’amour tournent autour d’un contrat où l’amour, plus froid que la mort, avec pour seule perspective l’exploitation affective, échoue en permanence comme tentative de rompre les chaînes de l’exploitation.
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