Chaque année début juillet, le FIDMarseille, Festival International de Cinéma de Marseille, dirigé par Jean-Pierre Rehm, propose un programme de 130 films à près de 23 500 spectateurs, dans des cinémas, théâtres, bibliothèques, galeries d’art, amphithéâtres en plein air, à Marseille. Le festival présente un grand nombre de films en première mondiale, de premiers films, et s’impose aujourd’hui comme un gisement de nouvelles cinématographies, productions documentaires aussi bien que fictions.
Vous trouverez ici le programme complet du FID Marseille 2021
11h30
OUTSIDE NOISE
de Ted Fendt, 1h01
Au retour d’un séjour à New York, Daniela rend visite à Mia, son amie berlinoise. Le jetlag n’arrange rien à ses insomnies. Mia aussi dort mal, fatiguée « de ces jours vides où il ne se passe rien ». Quelques mois plus tard, c’est à son tour, accompagnée de Natasha, de passer quelques jours d’oisiveté dans l’appartement viennois de Daniela. Leur spleen désoeuvré est à l’opposé de la passion dantesque qui animait les personnages de Classical Period (FID 2019). Sombre et inquiet sous ses airs de flânerie désinvolte, Outside Noise en est le contrechamp. C’est précisément la tension entre cette angoisse latente et la légèreté sobre et précise de la mise en scène qui fait la beauté de ce Stimmungfilm. Les dialogues, dont le cinéaste a partagé l’écriture avec ses comédiennes, tissent la toile serrée d’une autofiction où viennent se prendre les trois jeunes femmes. Prendre ou pas un thé, finir ou pas son mémoire de master, visiter un musée ou un autre dans des villes qui se confondent dans une même grisaille : l’existence, dans cette comédie triste de l’équivalence, semble réduite à faire du tourisme dans les limbes, à tourner en rond dans le bruit du dehors. Entre les mailles de l’étude de caractères se dépose un portrait de l’époque, d’un « temps en sursis », selon le titre du poème d’Ingeborg Bachmann que Daniela lira peut-être l’automne prochain – pour le moment elle n’y arrive pas. Il faudrait agir, dit le poème, se secouer, avant la venue des « temps durs ». Mais les femmes sont fatiguées et les hommes sont, au choix, odieux ou pénibles. La charleston, enseigné à Mia par un Ted Fendt malicieusement grimé en guide touristique cosmopolite et polyglotte, ne semble pas être la solution. Rien de tragique, certes, mais la question qui, dans le magnifique épilogue, ponctue cette tendre dérive, laisse flotter un parfum d’amère nostalgie : une vie romanesque, héroïque, est-elle encore possible dans une Europe sans histoire ?
Cyril Neyrat
14h00
HAVE YOU SEEN THAT MAN ?
de Yotam Ben-David, 15 min
Un champ, la nuit. Un homme étendu mort. Les yeux écarquillés, de jeunes garçons contemplent son cadavre, leur torche illuminant la pénombre tombante. La nuit, une torche, un regard d’enfant : tout ce dont Yotam Ben-David use pour se lancer à la recherche de la vérité. Tour à tour, un garçon toque aux portes du village et demande aux femmes qui lui ouvrent si elles connaissent cet homme. Autant de réponses que de femmes, autant de registres narratifs, autant de vérités alternatives, successives, ou complémentaires. En mosaïque, les destins qui attendent un villageois : anthropologie historique d’un village en noir et flamme.
Nathan Letoré
L’HEURE DU GOÛTER
de Sara Klingemann, 46 min
Pour fêter ses 80 ans, la clinique psychiatrique de Saumery organise un colloque sur le thème de « l’intelligence traumatique. » Tout en préparant les festivités, soignés et soignants discutent ensemble, longuement, du concept. On est à deux pas de Chambord, site de l’enchanté Bas-Choeur (FID 2020). Familière des lieux, Sarah Klingemann pose sa caméra au milieu des visages, à égale proximité des patients et de ceux qui les aident à vivre en intelligence avec leur souffrance. Ce que documente la cinéaste, davantage que les préparatifs, c’est l’élaboration commune d’une pensée vitale. Soit la pratique, libre et vivante, de la psychothérapie institutionnelle, la résistance entre ces murs de l’héritage de Jean Oury. Et si les cadres s’amusent à vaciller, si l’hommage se permet une tendre irrévérence, c’est en accord contagieux avec la douce folie qui s’autorise à animer les lieux.
Cyril Neyrat
16h00
THE PARENTS’ ROOM
de Diego Marcon, 12 min
Dans une chambre, assis au bord d’un lit deux places défait, un homme regarde la neige tomber à travers une grande fenêtre. Une femme est étendue à ses côtés. À l’arrière-plan, une porte ouverte donne sur un couloir. Un merle se pose sur le rebord de la fenêtre et se met à chanter. Petit à petit, se crée une mélodie sur laquelle l’homme récite un monologue. L’homme parle des meurtres qu’il a commis : ceux de son fils, sa fille et sa femme dans leur sommeil ; enfin, il décrit son propre suicide. Lentement, dans l’encadrement de la porte – l’un après l’autre– son fils et sa fille apparaissent, et de la même manière sa femme s’assoit sur le lit au moment de la dernière phrase, tels un choeur. Une fois l’histoire terminée, le merle s’envole et l’homme se remet à regarder à travers la fenêtre.
DES ENFANTS ET DES RUINES
d’Alain Mazars, 1h06
Le titre livre l’essentiel : avenir articulé au passé. Filmés en 16 mm dans un décor de ruines sous une lumière éclatante, un gamin mutique et une fillette peu loquace sont les protagonistes de cette très belle ritournelle cinématographique. S’y ajoute un adulte, silhouette inquiétante dont on ignore la nature. Le cinéma primitif est évidemment le grand modèle ici, et qui nourrit avec force chacun des plans : abstraction, jeu appuyé de contrastes, répétitions, économie narrative. Expérience labyrinthique et envoûtante, c’est de foi qu’il retourne, celle dans un cinéma qui revendique le mystère, et auquel Alain Mazars nous convie avec conviction.
Jean-Pierre Rehm
18h30
COURTS-MÉTRAGES
d’Apitchpapong Weerasethakul, 1h23
THE ANTHEM • MOBILE MEN • EMERALD VAMPIRE • LUMINOUS PEOPLE • A LETTER TO UNCLE BOONMEE • PHAMTOMS OF NABUA
20h30
IRE
de Valérie Massadian, 6 min, VO FR
Ire. Nom féminin : courroux, rage, fureur, indignation. Ire est le cri des femmes contre ceux qui oppressent, méprisent, tuent. Leurs yeux, cadrés serrés, fixent la caméra : elles nous regardent autant qu’elles nous obligent. Elles sont la multitude et scandent, depuis l’affirmation anaphorique d’un « Je suis », les violences que les femmes subissent. Dans ce film tourné en quatre langues, Valérie Massadian construit par le poids des mots et la force des regards un appel babélien à la résistance. De ces regards saisissants, il y a celui, brillant, de cette femme qui porte en elle celle qui n’est pas encore née, mais déjà en colère.
Louise Martin-Papasian & Claire Lasolle
CYCLE ONE
de Serge Garcia, 10 min
Qu’est-ce qu’une question ? Pourquoi l’auteur Padget Powell a-t-il construit son roman The Interrogative mood autour d’elles ? Comment adapter ce roman au cinéma ? Qu’est-ce qu’une voix off ? Comment peut-elle s’adresser à vous, spectateur ? Peut-elle vous questionner ? Vous confronter à des interrogations inédites ? Ou peut-être doit-elle plutôt s’adresser à un personnage ? Lequel alors ? Pourquoi est-il saisi ainsi, dans ses moments de flottement ? Quelle ville a-t-il élu pour se forger ses espaces de liberté ? Ne serait-ce pas justement la forme interrogative, constamment relancée et jamais clôturée, qui permet de ménager cet espace de liberté ?
Nathan Letoré
SIMONE BARBES OU LA VERTU
de Marie-Claude Treilhou, 1h14
« Simone Barbès est un personnage sans timidité ni réserve, cocasse, excessif. Sa verve est de la veine des personnages du cinéma populaire, dans la lignée d’Arletty. Elle va traverser ici, en continuité de temps, trois situations nocturnes : son travail, une sortie dans une boîte de nuit, et sa rentrée chez elle, « raccompagnée ». Simone Barbès se meut dans la pure théâtralité, ou dans l’hystérie : c’est sa distance. Il n’y a donc, à aucun moment, d’esprit de vengeance, de méchanceté ou de moralité de type féministe. Bien au contraire, Simone est un personnage moderne très délié, une sorte de sainte du jour. »
Marie-Claude Treilhou
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