Le réalisateur Maher Abi Samra pose sa caméra dans les bureaux de l’agence Al Raed. Il observe et dissèque les composantes de ce système autorisé par l’Etat : l’agence de Zein fait venir des femmes d’Afrique et d’Asie pour servir les familles libanaises. Étude sur la complaisance vis-à-vis de la monstruosité, il analyse l’un des miroirs qui compose le kaléidoscope de la société libanaise, révélant un portrait encore plus complexe de la réalité.
Dans le cadre de ce rendez-vous autour du documentaire de création, nous aurons soumis à votre regard Comme des lions de Françoise Davisse, In Limbo d’Antoine Viviani ou encore Zona Franca de Georgi Lazarevski, Des Lois et des Hommes de Loïc Jourdain ou encore Dustur de Marco Santarelli. Ce programme bénéficie du soutien d’ARTE Actions Culturelles.
Chacun sa bonne
de Maher Abi Samra – 2016, Liban/France/Norvège, 1h07
Le travail domestique est un marché majeur au Liban. Il se divise selon les origines nationales et ethniques des travailleurs. L’employeur libanais est le maître et le travailleur son bien. Zein possède une agence de travailleuses domestiques à Beyrouth. Il fait venir des femmes d’Afrique et d’Asie pour travailler dans les familles libanaises et aide ses clients à choisir sur catalogue celle qui répondra au mieux à leurs besoins. La publicité, la justice, la police sont dans son camp. Il nous ouvre son agence.
Critique de Cloé Tralci pour Hors Champ, Les Etats Généraux du Film Documentaire, Lussas, 2016
Bras de chemise, lunettes et Marlboro. Le directeur est installé à son bureau devant une grande baie vitrée. Dans de longs plans fixes, des clients consultent le descriptif de la marchandise. A Beyrouth, dans l’agence Al Raed, se vendent et s’achètent les services de jeunes femmes domestiques.
Elles sont originaires des Philippines, du Sri-Lanka, d’Érythrée ou du Bangladesh. La nationalité constitue normalement un élément de l’identité d’un individu ; ici, c’est une caractéristique du produit. Le directeur l’expliquera au moyen d’un schéma tracé sur sa baie vitrée comme sur un tableau vert : elles sont des milliers à être « importées » au Liban depuis l’étranger. Dans le catalogue, un couple examine les photographies des jeunes femmes, tente de distinguer dans les traits de la future bonne si elle sera docile et efficace. « Celle-là a l’air sage. Celle-ci est forte et celle-là a l’air mou. » Au fil de l’immersion dans ces séances de conseil personnalisé, par le biais de plans-séquences, ces travailleuses apparaissent comme des objets. Leur capacité à se rendre invisibles est celle qui sera la plus appréciée par l’employeur.
Une fois la paperasse remplie et les chèques signés, commission pour l’agence incluse, la travailleuse élue rejoint la pièce – accolée à la cuisine et aussi grande que les toilettes – que lui réserve le maître dans son appartement. Maher Abi Samra pose pudiquement sa caméra dans l’embrasure de la porte ou montre les vues en coupe des architectes. Il prend le parti de laisser hors champ les bonnes. Hormis deux clichés en prélude où elles posent telles des vases autour de Madame, les jeunes femmes demeureront «invisibles ».
Entre les immersions dans l’agence, le montage intercale des plans d’ensemble sur l’espace urbain de la capitale, impersonnel et menaçant. De lents panoramiques verticaux ou latéraux balaient les immeubles, de jour et de nuit. Derrière les fenêtres des appartements, le spectateur devine la présence des invisibles et la tragédie de leur solitude réduite au silence. Sur ces images, un commentaire du cinéaste en voix off précise que, chaque semaine, une travailleuse étrangère se suicide. Les témoignages des employeurs se succèdent, qui expliquent pourquoi avoir une bonne à la maison leur est indispensable. Chacun a ses raisons : une femme mariée et mère de plusieurs enfants confie que, sans sa bonne, elle assumerait seule les tâches domestiques. Une autre explique que ce système lui a permis de divorcer tout en conservant son emploi et son indépendance. Leurs voix raisonnent sur la façade de l’immeuble où chaque foyer poursuit ses activités quotidiennes.
Maher Abi Samra ne s’exclut pas du spectre des responsabilités. Au début de son film, il raconte avoir engagé une bonne pour sa mère. Il pose ainsi d’emblée la question de sa propre culpabilité, du rôle de chacun dans les rouages d’un système global, allégorie du libéralisme économique. Maher Abi Samra clôt son film sur ce récit révélateur : soucieux du bien-être de leur bonne,
des amis à lui sont tombés de haut le jour où elle s’est suicidée. Ils ont cependant décidé d’en embaucher une autre « pour continuer le travail »…
Comment interrompre la barbarie si les dominants, y compris ceux dont l’esprit critique est éveillé, ne renoncent pas à des privilèges qui violent les droits de l’homme ? L’imagerie occidentale de la soubrette – plumeau, minijupe noire et tablier blanc – sert de logo à plusieurs agences de domestiques de Beyrouth. Dans le dernier plan du film, ces dessins brillent comme autant de larmes dans le reflet des baies vitrées et posent silencieusement la question.
Cloé Tralci
Maher Abi Samra vit entre Paris et Beyrouth. Photographe pour la presse libanaise et internationale, il a écrit et réalisé plusieurs documentaires : Nous étions communistes (Prix du meilleur documentaire arabe, Abu Dhabi Film Festival ; sélection officielle à la 67e Mostra de Venise) ; Juste une Odeur (Grand prix du court métrage international, DOK, Leipzig et International Documentary Film Festival, Brésil) ; Rond-point Chatila (Prix Ulysse, 27e Festival international du cinéma méditerranéen, Montpellier).
Le blog documentaire est le site d’informations et d’analyses incontournable sur les arts documentaires au cinéma, à la télévision, sur le web et ailleurs.
Fondé en 2011, cet espace collaboratif ouvert à toute proposition éditoriale regroupe toutes les actualités du secteur, des analyses de films et de programmes interactifs, des compte-rendus de festivals ainsi que de nombreux entretiens avec des auteurs, des producteurs et des diffuseurs. Cédric Mal en est le directeur de la publication. L’animation éditoriale du site est menée conjointement par Nicolas Bole et Cédric Mal.
Nous remercions Arte Actions Culturelles pour son soutien
Les Actions Culturelles d’ARTE font sortir la chaîne des écrans. Sans relâche, elles s’agitent et agissent sur le terrain. Elles accompagnent les artistes, soutiennent les œuvres, favorisent les rencontres inédites, participent à la vie de la cité et rapprochent tous les publics !
Elles mettent en partage le talent, elles proposent l’aventure de la découverte, le plaisir de la réflexion… Elles rendent la culture plus proche, joyeuse et contagieuse.
Nous remercions l’équipe de Radio Grenouille pour leur soutien :
Pour vous souvenir cette séance, vous pouvez l’ajouter à votre agenda<div class="event_data status-EventScheduled location-type-OfflineEventAttendanceMode " style="border-left-color:#000000;background:rgba(0,0,0,0.1)" itemscope itemtype="http://microformats.org/profile/hcard"> <div class="event_date" data-start="dimanche 11 juin 2017" data-end="dimanche 11 juin 2017"> <time itemprop="dtstart" datetime="2017-06-11T20:00:00+02:00"><span class="date date-single">dimanche 11 juin 2017</span> <span class="linking_word">à</span> <span class="time time-single">20h00</span> </time> </div><!-- .event_date --><span class="eventpost-status">Planifié</span> <span class="event_categories"> <span class="event_category">Les séances de cinéma </span></span> <address data-id="17453" data-latitude="-65.12945608003668" data-longitude="-50.075931145208166" data-marker="" data-iconcode="f100" data-icon="" data-color="#000000" itemprop="adr" class="eventpost-address"> <span> Videodrome 2, 49, Cours Julien, 13006 Marseille </span> <a class="event_link gps dashicons-before dashicons-location-alt" href="https://www.openstreetmap.org/?lat=-65.12945608003668&lon=-50.075931145208166&zoom=13" target="_blank" itemprop="geo">Carte</a> </address></div>
Trouver la salle de cinéma
Videodrome 2
49 Cours Julien
13006 Marseille
Voir le programme complet des séances cinéma