Défaillant, amputé, perdu, le fantasme de nos intériorités traverse le temps – le vieillir – comme ils traversent les formes et leur matérialité.

Phantagma revient hanter pour la quatrième fois le Videodrome 2 et nous propose de traverser des failles temporelles où les fantasmes s’ouvrent de l’intérieur et libèrent ses fantômes. Comme si l’on fantasmait toujours l’intériorité, l’intérieur d’un objet, celui d’une maison, d’un voisinage, d’une œuvre, celui de la nuit, du cinéma – d’une personne.

Du fantasme de Godard pour qui « Tout ce dont [on a] besoin pour faire un film, c’est d’une fille et d’un flingue » dont en écho le film de Gustav Deutsch fait l’introspection, Film ist : a girl and a gun, à l’émulsion de l’argentique délirée Decasia de Bill Morrison, du manteau de nuit qui couvre le film de Renoir, La nuit du Carrefour, en passant par les monstres d’un temps perdu de Vampyr ou encore les spectres du voisinage de The Swimmer, chaque image nous renvoie à la fiction inhérente à leur perspective (im)propre. Ce que l’on perçoit est originellement, constitutivement une fiction, si ce n’est que pour la raison de la congruence de l’espace et du temps. Nous ne pouvons percevoir le présent. Tout en nous disant à jamais réservé à celui-ci.

Que l’on lance un désir sur un point donné, il se perdra dans les méandres de la grille de l’espace-temps et fissurera la toile de son passage, laissant cadavres et fantômes arborer la marche des rencontres jusqu’à se retourner sur lui-même pour constater sa propre défaillance ou son inexistence. Ainsi le nageur décide de nager dans toutes les piscines qui le sépare de sa maison et redécouvrira son existence à travers ce voisinage planté de travers, où la fatuité règne et où l’amour est impossible et vain car irrémédiablement perdu. Ce corps triomphant, symbole d’une certaine Amérique impériale se verra dégommer tous les points de fuite qu’il rencontre en les retournant pour ce qu’ils sont, déception, nostalgie, consumérisme, hypocrisie, alcoolisme, fatuité et mesquine cruauté.

Les clichés dans lesquels Lancaster nagent, ce sont aussi ceux de Film ist : a girl and a gun que Gustav Deutsch dissèque dans leur recoins oubliés, dans leur inconscient série B, ces rebuts d’une industrie de chaine qu’Hollywood lustre avant de les rejeter. Found footage du méconnu et de l’oublié, ce collage nous raconte l’inconscient de la sève humaine par le biais de ses fantômes. Il parcourt ces corps burlesques suprêmement désirant et nous offre l’espace- temps des signes, l’espace inatteignable, toujours mouvant qui fabrique les imaginaires de nos statues de sable ; déconstruit une mythologie toujours opérante bien qu’entonnant son chant de cygne.

L’espace ouvert, à l’intérieur du confinement de l’histoire du cinéma du précédent film, est explosé dans Vampyr où chaque plan ouvre sur un nouvel hors-champs temporel comme spatiale, à l’image du paysan défourchant son blé, l’amputé de 14-18 séparé de son ombre la retrouvant, l’assassinée ressuscitant ou encore par le biais de la vision subjective d’un mort. Ici tout est fantasme, tout est mort et tout est réel. Tout est palpable, tout est impossible. Cette balade de spectre parmi les spectres déploie le rêve et la conscience dans sa plus évidente complexité, valdinguent dans nos fantasmes comme dans nos peurs à l’image de notre conscience qui se porte au monde. Le désir ricoche, se perd, réapparait, tourne, impossible comme l’escalier de Penrose où la toute puissance totale de l’enfance revient sous forme de folie, vieillesse, maladie, ombre, mort ; Vampyr, ce film Frankenstein mutilé, perdu, recollé, reconstruit en partie perdu. Cette enfance plongée dans une nuit complétement diurne.

C’est cette nuit qui emmitoufle l’un des premiers film de Jean Renoir, son préféré selon ses dires, la nuit du carrefour est adapté d’un roman de Simenon. L’on y sent un argentique silencieux, oppressant qui laisse pantelant les démons qu’il met en scène. Bien qu’il s’agisse d’intérieur, l’intérieur du crime, de la suspicion, ces corps presque balourd sont mués fatidiquement à s’assombrir par une soif vaine, celle de la résolution d’une enquête ou simplement du film et se laisse devenir figure de nuit sans sommeil devenir des taches blanches sur fond noir.

Decasia comme le dit Bill Morisson car il voulait faire le pendant de Fantasia de Walt Disney, une fantasia noire, faite de temps et d’archive, faite de cicatrice et de lutte où l’imaginaire explose les lignes au lieu d’en refaire idéalement la figuration niaise des fantasmes d’un Mickey conformiste. C’est par le caractère palpable de la pellicule, par ses traumatismes concrets, chimique du 35mm qu’il nous plonge dans la nuit de son intérieur, de l’anxiété, de la violence d’être au monde dans cette vie matérielle. Comme si finalement, l’intérieur, la fantaisie, le phantagma ne pourra jamais être autre chose au bout du compte que la matérialité d’une surface.

Chaque séance sera préfacée par quelques objets phantagma.

Aurélien Lemonnier

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