Phantagma II, l’indifférence des images

Phantagma signifie à la fois fantasme, spectre, apparition soudaine et image mentale.
Tout est flou et sans mémoire, éblouissant. Des bruits épars s’agglutinent sur les yeux collés du nourrisson. Bientôt ces lumières deviendront des formes, puis des signes et des images. Il sera bientôt possible de babiller le monde. L’articulation de ce babillage se fera souvenir puis mémoire, automatisme et refoulement, conscience ; elle apparaîtra par intermittence sans pour autant disparaître tout-à-fait. Tout deviendra image mental et symbolique puis se noiera dans l’absurde de l’existence. Présente mais jamais tout à fait présente, ailleurs et Autre. La remémoration permanente de ces différents spectres se fera Histoire et affinera la sensibilité jusqu’à vivre dans la puissance du faux et la volonté de puissance. L’aurore de la conscience se fabrique malgré l’indifférence de l’univers à cette conscience et de ce que cette conscience s’indiffère elle-même, la question de savoir pourquoi y’a-t-il quelques chose plutôt que rien tombe dans l’abîme de l’indifférence à ce qui se trame. Elle se déploie dans l’indifférence de son propre déploiement. Il en est de même pour les les images.
Phantagma II propose de tisser entre eux quelques films tournant autour des fantômes. La puissance du faux et du carnaval qui supporte les rapports de force, les instincts, les simulacres dans ce qu’ils ont de plus intimes et qui forment sociétés.
Une page folle (1926) de Teinosuke Kinugasa , The Serpent and the Rainbow (1988) de Wes Craven,
Les Damnés (1969) de ViscontiTiticut Follies (1963) de Frederick WisemanLes maitres fous (1955) de Jean RouchPays barbares (2017) de Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi, et enfin Image Prison (2000) d’Harun Farocki.

Aurélien Lemonnier

 

 

19h

Pays barbares

de Yervant Gianikian et Angela Ricci – 2013, France, 1h05

«Nous nous penchons sur des matériaux filmiques sur l’Éthiopie coloniale italienne (Abyssinie), récemment découverts dans des archives de particuliers. Nous étudions à la loupe les photogrammes sur la colonisation, et transcrivons leurs légendes. Ces matériaux devaient être visionnés à la maison, en silence. Dans ces fragments de films, on remarque, en les regardant sans projecteur, les traces de ceux qui les ont possédés, les moments du film qu’ils ont le plus vus. Notre double lecture passe par les images et par la façon dont elles étaient vécues. Une Éthiopienne à genou, le sein à l’air, un soldat barbu qui lui lave symboliquement les cheveux; des termes récurrents (barbare, primitif, pillard, bigamie) reviennent dans les légendes. Nous avons trouvé aussi beaucoup de séquences militaires illustrant la violence des Italiens lors de la conquête de l’Éthiopie et la phrase suivante: «Pour ce pays primitif et barbare, l’heure de la civilisation a sonné.» Voilà des fragments de l’image de Mussolini en Afrique: il fallait communiquer avec les masses à travers les caractéristiques physiques de sa personne, qui doit apparaître comme une icône unique et incomparable.»

Chaque époque a son fascisme.
Un film pour nous aujourd’hui nécessaire sur le fascisme et le colonialisme. Avec notre « Caméra Analytique », nous sommes retournés fouiller dans des archives cinématographiques privées et anonymes pour retrouver des photogrammes de l’Éthiopie datant de la période coloniale italienne (1935-36). L’érotisme colonial. Le corps nu des femmes et le « corps » du film. Images de Mussolini en Afrique. Photogrammes du corps de Mussolini et des « masses » en 1945, après la Libération. « Après avoir été à l’origine de tellement des massacres sans images, ses dernières images sont celles de son massacre. » (Italo Calvino)

« Il y a un mystère à observer les plans ressuscités de Pays barbare. Cette pellicule rose rappelle l’œuvre du vidéaste irlandais Richard Mosse qui, à la Biennale de Venise 2013, présentait The Enclave, une plongée aux couleurs psychédéliques et insensées dans une Afrique éventrée. Tout dans Pays barbare pourrait installer une distance : les couleurs, l’image abimée, le passé. Mais Yervant Gianikian et Angela Ricci Lucchi s’acharnent, passent les plans au ralenti, s’arrêtent sur des photographies. Comme s’il y avait un temps à rattraper sur ces massacres non documentés. La haine ethnique et la religion sont ici utilisées comme des armes mortelles. Seulement dans le passé lointain de vidéos oubliées ? Gianikian et Ricci Lucchi ne sont pas dupes. Pays barbare s’achève sur des images de fantômes, des silhouettes en négatifs, abstraites, et ces fantômes-là n’arrêtent pas de danser. »
Nicolas Bardot

Prison images

d’Harun Farocki- 2000, Allemagne, 1h, VOstFR

Un film composé d’images de prisons prisent par des caméras de surveillance, de citations de films de fiction et de documentaires . Un regard sur les nouvelles technologies de contrôle: des dispositifs d’identification personnels aux bracelets électroniques de cheville en passant par les dispositifs électroniques de suivi.

La caméra de surveillance montre un morceau de la cour bétonnée où les prisonniers, en short et pour la plupart torse nu, ont le droit de passer une demi-heure par jour. Si une bagarre éclate entre deux détenus, les autres se jettent à terre, les bras au-dessus de la tête. Ils savent ce qui les attend. Le gardien va hurler un avertissement avant de se mettre à tirer avec des balles en caoutchouc. Les images sont muettes. La caméra et l’arme sont côte à côte. Champ visuel et champ de tir coïncident.

« Image Prison d’Haroun Farocki se veut un essaie sur la technique et la pulsion scopique face à l’enfermement des corps. Il place le regardeur et le regardé à une échelle de rat de laboratoire, tout deux observés par l’image qui l’enregistre indifférente à la situation capturée. Ce qui permet de tracer une Histoire à partir de l’intime et de la technique en dessinant un jeu de contrôle et une sémiotique subtile des rapports entre hommes et images. »
Aurélien Lemonnier


 

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