Pour cette deuxième séance, nous aurions pu vous montrer l’incontournable Les 400 coups de Truffaut. Mais nous avons choisi Le petit fugitif, un film qui influença de nombreux cinéastes dont ceux de la Nouvelle Vague française.

Le petit fugitif
de Raymond Abrashkin, Ruth Orkin et Morris Engel – 1953, États-Unis, 1h20, VOstFR

Un quartier populaire de Brooklyn, dans les années 50. La mère confie à Lennie la garde de son petit frère, Joey, car elle doit se rendre au chevet de leur grand-mère. Agacé de devoir veiller sur son petit frère alors qu’il avait prévu de passer le week-end avec ses copains dans un parc d’attractions à Coney Island, Lennie fait une farce de mauvais goût à Joey. Persuadé d’avoir causé la mort de son grand frère, le petit garçon s’enfuit à Coney Island, immense plage new-yorkaise dédiée aux manèges et à l’amusement. Il va passer une journée et une nuit d’errance au milieu de la foule et des attractions foraines.


« Sous ses airs de kid movie dans la droite lignée du Kid de Chaplin et de la série des Petites Canailles, Le Petit Fugitif magnifie les contradictions de l’enfance. Il faut voir avec quelle acuité les réalisateurs parviennent à faire de la virée du petit Joey dans le parc d’attractions une immense balade initiatique. Quasiment sans dialogue, Ashley, Engel et Orkin captent les sentiments contradictoires qui assaillent le petit garçon, de la culpabilité (celle d’avoir peut-être tué son frère) à la joie (de vivre un rêve éveillé au milieu des manèges) en passant par la peur, l’insouciance, la méfiance… Esquissé avec finesse, le parcours de Joey à Coney Island fait figure de récit d’apprentissage : l’enfant y apprend notamment la responsabilité et le partage, avant de retrouver son frère qui aura, par la même occasion, appris deux ou trois choses sur la valeur de la vérité.

Le Petit Fugitif n’est pas pour autant un conte moralisateur destiné à faire peur aux petits enfants fugueurs : les réalisateurs montrent l’enfance sans chichis et avec tendresse, sans en atténuer les mauvais côtés ni trop jouer sur la bouille attachante du petit héros. C’est que quelque chose de totalement novateur vient appuyer le discours des cinéastes : la mise en scène. Tourné à l’arrachée dans les rues de Brooklyn, au pied des immeubles et sur la plage de Coney Island, dans les parcs d’attraction et dans les rames de métro, Le Petit Fugitif pose les bases de la révolution cinématographique à venir. Caméra posée à même le sol ou portée à l’épaule, son en prise directe, cadrages insensés : la réalisation épouse le propos avec panache. Le sentiment d’incroyable liberté éprouvé par le petit Joey transparaît à l’image et l’on se faufile avec lui entre les jambes des passants, près des stands de tir et des manèges, entre les corps étalés sur la plage. La scène où le petit garçon, enivré par la ronde d’un carrousel, se laisse envahir par le bruit, la peur et la culpabilité (d’avoir tué son propre frère et de se sentir si libre) est, à ce titre, exemplaire.
(Source : Fabien Reyre, Critikat 10 février 2009


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