Voici la soirée de l’intime, de ce qui n’appartient qu’à moi, qui existe par ton absence et que je vais sublimer par le cinéma. Je c’est elle, je c’est l’autre, je c’est cette projection de moi sur toi, c’est la manière que j’ai de te regarder.
C’est difficile de dire combien je vous aime Marguerite et Sophie. L’impossibilité de dire et de montrer vous connaissez, chacune à votre manière, et finalement c’est ainsi que vous nous parlez du plus profond de vous même. En tant que femme désirante qui a besoin de s’identifier à d’autres femmes, je dévore vos œuvres. Le projet du cycle La Révolution du désir était pour moi de montrer des films réalisés par des femmes et qui abordent la question du désir et du plaisir féminin. Ce fut l’occasion de nombreuses découvertes cinématographiques et la confirmation d’une relation complexe et souvent douloureuse entre création et identité.
L’Homme Atlantique de Marguerite Duras et No sex last night de Sophie Calle et Greg Shephard se répondent brillamment. Ce sont ces déclarations d’amour que l’on fait quand on sent que l’amour disparaît. Ce sont des histoires vécues sublimées par le désir d’être auteur-ice de sa vie en la faisant œuvre.
No sex last night
de Sophie Calle et Greg Shephard – 1992, États-Unis, 1h16, VOstFR
*projection en pellicule 35mm *
« Nous vivions ensemble depuis un an, mais notre relation s’était dégradée. Nous avions totalement cessé de nous parler. Je rêvais de l’épouser. Il rêvait de faire du cinéma. Pour l’inciter à traverser l’Amérique avec moi, j’avais proposé que nous réalisions un film durant le voyage. Il avait accepté. De notre absence de communication, vint l’idée de nous munir chacun d’une caméra vidéo, et d’en faire la seule confidente de nos frustrations en lui racontant secrètement tout ce que nous ne pouvions pas nous dire. La règle du jeu établie, le 3 janvier 1992, nous avons quitté New York, dans sa Cadillac grise en direction de la Californie. » Sophie Calle
« Les œuvres de Sophie Calle s’ancrent dans le domaine de l’intimité, de la sentimentalité réellement vécue. Tout en intégrant l’imprévisibilité de la vie, elles engagent également la construction, la manipulation de la réalité autobiographique. Pour ce faire, l’artiste introduit de la fiction dans le réel au moyen de l’application d’un nombre variable de contraintes à une circonstance de départ observée dans sa vie et ce afin d’orienter son évolution. Le réel devient par là-même un réel provoqué ou aidé, c’est-à-dire un réel préalablement imaginé et élaboré qui engendre un enchaînement de phénomènes. Pour reprendre le champ sémantique employé par l’artiste, il faut évoquer la notion de jeu. Dans cette perspective, le hasard du lancer de dés correspond à celui inhérent à la vie tandis que les règles et les stratégies des joueurs s’affirment comme étant décisives pour le dénouement de la partie. La dernière étape de la démarche artistique de Sophie Calle consiste à agencer des preuves de ses expériences vécues afin de finaliser ses créations. Ainsi, l’artiste se propose de vivre une situation destinée dès l’origine à être racontée et exposée : le réel fictionnalisé rendu public fait œuvre. » Tiphaine Larroque pour raison-publique.fr (> Lire l’article No Sex Last Night (1992) de Sophie Calle & Greg Shephard : témoignage filmique doublement subjectif de l’intimité d’un couple en voyage)
Sophie Calle est née à Paris le 9 octobre 1953. De retour dans sa ville natale en 1979, après un voyage de sept ans à travers le monde, elle demande à des amis et des inconnus de se succéder dans son lit durant 8 jours afin qu’il ne soit jamais vide. Elle en tire une œuvre baptisée Les dormeurs . Plus tard, elle s’attache à suivre des inconnus et livre le fruit de ses filatures à travers des notes et des photographies. Le critique Bernard Lamarche-Vadel découvre son travail et l’invite à la Biennale de Venise en 1980.
Dès lors, Sophie Calle poursuit son travail jouant sur les limites entre voyeurisme et exhibitionnisme, vie privée et vie publique, sur les thèmes de l’absence, du vide, de la trace. Elle est une artiste de la performance qui se qualifie-elle-même d’artiste narrative. Dans une démarche conceptuelle, elle se contraint à des règles du jeu pour inventer sa propre mythologie et interroger le rapport entre l’art et la vie.
Largement autobiographique, son œuvre puise dans son intimité et offre au spectateur un autoportrait réalisé au prisme de multiples points de vue. Elle se dévoile à travers les pièces d’un puzzle que le spectateur se doit de reconstruire. Provocante et égotique, sa démarche est aussi thérapeutique, elle permet la convalescence, la consolation après les blessures liées à la rupture, la disparition.
Parmi ces œuvres : Suite Vénitienne (1980), La Filature (avril 1981), Les Aveugles (1986), Histoires vraies (1988-2003), Prenez soin de vous (2007), Rachel, Monique (2010).
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