Dante écrit dans La Divine Comédie un texte politique et spirituel, qui réunit les principes de la morale civique aux commandements d’un initié en alchimie. Le parallèle avec mes intentions cinématographiques ne m’est pas apparu du début.
Limbes est le premier film de la Trilogie. Il est né de mon envie de mettre en place une histoire magique et psychanalytique de guérison, un film qui guérit. J’avais déjà accompli des apprentissages, acquis des connaissances. Castaneda, Jodorowski, Yogananda, Jung, Nietzsche, Paracelsus, la Cabala, le I King, Les Evangiles (aussi Thomas et Marie Magdalene), Freud, Lacan, les mythologies, la poésie et la recherche psychédélique (Leary, Crowley, les approches Neo-tribales)… pour nommer des références. Du côté de la mise en forme je voulais représenter un voyage d’initiation et d’émancipation, donc rendre la « psychomagie » (Jodorowski) et le « mono-mythe » de Campbell, ou créer un film oracle. L’inspiration cinématographique me venait aussi des trésors de la b-movie italienne, Mario Bava et Antonio Margheriti en premier, donc les superpositions, et les effets spéciaux composé en cours de tournage. La présence des sériés-b est aussi remarquable dans l’expression des genres tout le long du film, l’ horreur, l’érotique, le thriller, le comique. J’avais ainsi construit un filet théorique avec le quel attraper les émotions de mes acteurs, presque tous non-professionnels, intéressés à vivre une aventure chamanique sous mon guide et à se laisser aller à l’expression de leur « pouvoir personnel » devant ma camera. J’ai tourné pendant neuf mois, mais le travail le plus important est arrivé enfin du montage, où je me demandais non pas de composer une simple fiction, plus ou moins expérimentale, mais de transformer les images en distillé alchimique, ce qui m’a pris beaucoup de temps et d’énergies, frôlant le bord de la folie par moments, telle était l’intensité.
Ce qui j’avais appelé mon film de sorciers était né, et sa matière m’est pour la première fois apparue comme un Enfer, qui avait besoin d’une suite. C’est là que la proximité au travail de Dante m’est apparue, toute son évidence politique aussi, et la création de Race, le Purgatoire, et de Eresia (le plus proche au texte de Dante, aussi dans ses conclusions) a suivi. De 2010 à 2017 la Trilogie m’avait pris 7 ans. Là où Limbes (l’Enfer) concrétise des éléments psychiques d’émancipation, le Purgatoire est le lieux de pénitence, donc d’énonciation des erreurs, et le Paradis un lieu de contemplation et méditation parmi les sons et les jeux de lumière.
Antonella Eye Porcelluzzi, 2018
20h
Limbes
d’Antonella Eye Porcelluzzi – 2015, France, 50 min
En présence de la réalisatrice
Limbes est un attrape-rêves, un ouvre-carapace, une histoire d’émancipation psychique et psychédélique. Film indépendant et auto-produit, comme les deux films suivants, mélange dans la Parole du film des textes de la réalisatrice à d’autres références, dont surtout le Zarathustra de Nietzsche.
Limbes Bardo Thodol est un parcours d’initiation chamanique, alchimique, celui d’une femme dans son labyrinthe intérieur.
L’esthétique cinématographique d’Antonella Aynil Porcelluzzi, qui vit à Marseille depuis 2007, est détonante et sans égale, frappante de singularité.
> Les films de Antonella Porcelluzzi sur youtube
> Texte (traduit de l’anglais) de Giulio L. Giusti, maitre de conférence à la Regent’s University de Londres, qui s’intéresse aux inter-relations entre la peinture et le cinéma :
« Celui qui découvrira le sens de ces paroles ne goûtera pas à la mort. » Évangile – apocryphe – selon Thomas.
« The planet itself is a living. thinking, emotional entity. » Cette phrase est en arrière-plan de la bande son d’une séquence clé de Limbes, un film de 2014, écrit, tourné et monté par Antonella Aynil Porcelluzzi. Pendant que la voix électronique de David Icke dans la chanson « Entwine » (du musicien tunisien Fusam) prononce ces mots, des images de corps à moitié nus et serrés par la sensualité libératoire d’un rite tribal archaïque prennent forme. Sur une plage déserte et sableuse, on est en train d’accomplir un rite propitiatoire, métaphore véritable du passage vers le nirvâna. Pendant ce rite, le corps et la psyché se fondent à l’entité cosmique du moi et le sens même de l’existence humaine, de sa naissance, à sa mort et renaissance éventuelle, devient une expérience purement dionysiaque.
Inspiré du « Bardo Thodol », c’est-à-dire le Livre tibétain des morts, Limbes devient ainsi un voyage psychédélique qui raconte de l’auto-conscience du genre humain par rapport à sa transformation, mort et régénération.
Le film se sert de la bande sonore de Sylvain Quatreville, à son tour basée sur la compilation « C-drik October Mix 2013 » de Cedrik Fermont. Cette mélodie cadencée et hypnotique accompagne, dés le début du film, la plasticité d’un corps féminin se reflétant dans un miroir et improvisant une danse tribale. Une série de fondus enchainés se succèdent et mettent en évidence d’autres corps en mouvement qui deviennent ici pure expression métonymique et symbolique d’ une libération des chaînes du moi physique et immanent.
(….)
22h
RACE
d’Antonella Eye Porcelluzzi – 2017, France, 60 min
En présence de la réalisatrice
Race est un film de poètes. Les poèmes des auteurs marseillais,ceux de la réalisatrice se mélangent à d’autres voix. Un interlude dansant permet au premier personnage de faire connaissance des âmes qui l’accompagnent, dans un jardin labyrinthique, et d’avouer sa vision du monde.
> Gonzague autour de Race avec Deleuze
C’est évidemment *Aguirre*. L’idée démente, non pas de trahir le roi, ça c’est rien, mais de tout trahir, arriver à tout trahir, tout. Comment tout trahir à la fois ? C’est pas facile ça, ça c’est vraiment une idée claire. Et l’idée n’est pas vraiment terminée : Comment tout trahir pour fonder ou refonder un empire originel de race pure constitué par l’union incestueuse de lui-même et de sa fille ?
« Le poète (…) se comporte comme s’il savait. En expliquant les destinées et les actes humains, il a l’air d’avoir été présent, lorsque fut tissée la trame du monde : en ce sens c’est un imposteur. Il accomplit ses duperies devant des ignorants – c’est pourquoi elles lui réussissent : ceux-ci le louent de son savoir réel et profond (…). L’imposteur finit donc par être de bonne foi et par croire en sa véracité. Les hommes sensibles vont même jusqu’à lui dire en plein visage qu’il possède la vérité et la véridicité supérieures – car il arrive parfois à ceux-ci d’être momentanément fatigués de la réalité ; ils prennent alors le rêve poétique pour un relai bienfaisant, une nuit de repos, salutaire au cerveau et au cœur. (…) Les poètes qui ont conscience de ce pouvoir, à eux propre, s’appliquent avec intention à calomnier ce que l’on appelle généralement réalité et à lui donner le caractère de l’incertitude, de l’apparence, de l’inauthenticité, de ce qui s’égare dans le péché, la douleur et l’illusion ; ils utilisent tous les doutes au sujet des limites de la connaissance, tous les excès du scepticisme, pour draper autour des choses le voile de l’incertitude : afin que, après qu’ils ont accompli cet obscurcissement, l’on interprète, sans hésitation, leurs tours de magie et leurs évocations comme la voie de la « vérité vraie », de la « réalité réelle ». Aphorisme 32 (La prétendue « vérité vraie ») F. Nietzsche, « Opinions et sentences mêlées »
> Texte d’Emmanuelle Sarrouy, décembre 2017
« Mon guide et moi par ce chemin caché nous entrâmes, pour revenir au monde clair ; et sans nous soucier de prendre aucun repos, nous montâmes, lui premier, moi second, si bien qu’enfin je vis les choses belles que le ciel porte, par un pertuis rond ; et par là nous sortîmes, à revoir les étoiles. » Dante Alighieri, La Divine comédie – Inferno
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