Des auteurs tchèques on retient souvent Milos Forman. Les succès populaires de ses productions américaines sont paradoxalement conséquences d’un exil qui marque l’anéantissement d’une période extrêmement féconde dans son pays d’origine. Le « Miracle Tchèque », dont on situe le coup d’envoi vers 1962, se voyait paralysé en pleine course par le durcissement de la censure aux lendemains du Printemps de Prague, et l’arrivée de Dubcek en successeur de Novotny. D’autres suivirent le mouvement vers l’Ouest ; Vojtech Jasny, Ivan Passer, Jan Nemec

Quelques sept ou huit années de liberté créatrice dont s’empare une jeune génération de cinéastes, un foisonnement d’inventions formelles au service de la destruction des mythes et du conformisme de la société dans laquelle ils grandirent. L’exigence de vérité pousse assez naturellement à placer le doute comme principe de base, et c’est en vain que l’on chercherait quelque héros positif dans ces films. Plutôt des marginaux, rendus fous par la peur, ou libres dans leur folie. Et parce qu’il était pressant de vaincre cette peur qui désagrégeait les rapports humains, de lui faire affront, il fallait bien s’en moquer, et cet humour, on s’en doute, tient toujours du rire jaune.

Faux-semblants, hypocrisies, secrets de Polichinelle, mensonges… Peu importe le nom, c’est ce à quoi chacun de ces films réfléchit, de mille manières différentes : effacement de la frontière entre vécu et visions hallucinatoires dans Les diamants de la nuit ; parabole philosophique sur l’ignorance heureuse en forme de film-tableau pour Les fruits du paradis; noirceur paranoïaque, au présent et sans détour, dans L’Oreille ; et enfin, le refuge dans le conte fantastique (Valérie au pays des merveilles), ultime espace de liberté à l’issue de cette courte décennie, pour encore questionner l’illusion, la fragilité de nos perceptions et de nos croyances.


Les diamants de la nuit

Jan Nemec – Tchécoslovaquie, 1964, 1h05

Seconde guerre mondiale. Deux jeunes garçons sautent d’un convoi de déportation et filent, haletants, vers la forêt. La suite ne sera qu’un combat pour la survie, la lutte acharnée des deux fugitifs tiraillés par la faim, la soif et le froid. Les diamants de la nuit aurait pu être L’enfance d’Ivan réalisé par le Resnais des débuts, mais il préfigure également Essential Killing de Jerzy Skolimowsky – dont la trame est l’exacte transposition dans la guerre d’Irak des années 2000 – ou, pour la dernière partie du film, Scènes de chasse en Bavière de Peter Fleischmann. Les états limites que la fatigue fait atteindre, et les tours qu’ils jouent à l’esprit s’incarnent dans le montage et nous donne à embrasser les troubles hallucinatoires et les remembrances des personnages.

« Deleuze parle d’image-cristal lorsque celles-ci mêlent de la sorte le réel et le virtuel, au point que le spectateur ne puisse plus décider de l’objectivité de sa perception. C’est très exactement ce qui se passe dans Les diamants de la nuit. Tout est filmé du point de vue subjectif des deux personnages et Nemec alterne sans cesse perceptions actuelles, souvenirs récents ou plus anciens, ainsi que projections imaginatives de l’avenir espéré, au point qu’on ne puisse plus toujours décider avec une absolue certitude du statut de chaque image. » (Documentaire sur grand écran)

Le premier long-métrage de Jan Nemec, quasiment muet et totalement dénué de musique, est une expérience puissante dont on a peine à émerger. Adapté d’une nouvelle éponyme d’Arnost Lustig, s’étant lui-même enfui d’un train menant aux camps alors qu’il avait 16 ans.

Affiche originale

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