Voici la soirée de l’intime, de ce qui n’appartient qu’à moi, qui existe par ton absence et que je vais sublimer par le cinéma. Je c’est elle, je c’est l’autre, je c’est cette projection de moi sur toi, c’est la manière que j’ai de te regarder.
C’est difficile de dire combien je vous aime Marguerite et Sophie. L’impossibilité de dire et de montrer vous connaissez, chacune à votre manière, et finalement c’est ainsi que vous nous parlez du plus profond de vous même. En tant que femme désirante qui a besoin de s’identifier à d’autres femmes, je dévore vos œuvres. Le projet du cycle La Révolution du désir était pour moi de montrer des films réalisés par des femmes et qui abordent la question du désir et du plaisir féminin. Ce fut l’occasion de nombreuses découvertes cinématographiques et la confirmation d’une relation complexe et souvent douloureuse entre création et identité.
L’Homme Atlantique de Marguerite Duras et No sex last night de Sophie Calle et Greg Shephard se répondent brillamment. Ce sont ces déclarations d’amour que l’on fait quand on sent que l’amour disparaît. Ce sont des histoires vécues sublimées par le désir d’être auteur-ice de sa vie en la faisant œuvre.
L’Homme Atlantique
de Marguerite Duras – 1981, France, 45 min
*projection en pellicule 35mm*
L’Homme Atlantique est un roman de Marguerite Duras écrit en 1982, soit plutôt vers la fin de sa carrière. Il s’agit d’une nouvelle d’une trentaine de pages correspondant à une longue lettre d’amour envoyée par l’auteur à son amour, un certain Yann. Le message est une longue blessure dû à un amour finissant, blessure de laquelle s’écoule des interrogations sur l’incapacité à rectifier le passé et garder un souvenir intact de la relation. Des notions sur l’existence de Dieu sont également abordées.
Il s’agit, en pratique, de la bande sonore du film du Agatha ou les lectures illimitées. Ce film montre Yann Andréa marchant dans les pièces désertes de la villa Agatha, le tout entrecoupé de longues séquences noires. Le texte a été destiné initialement au film, mais il pouvait vivre par lui-même en tant qu’œuvre indépendante, c’est la raison pour laquelle on la retrouve sous forme de livre. Le film et le livre ont ceci en commun qu’ils donnent une impression de déchirure, un amour perdu qui s’éloigne de plus en plus dans le cœur de l’être aimant. C’est bien sûr une histoire personnelle qui n’a été écrite que pour purger définitivement ce sentiment de violence.
Le texte est écrit de façon à ce que le lecteur/spectateur soit le témoin de l’interpellation de Yann Andréa par Marguerite Duras. Le texte fait la part belle au vouvoyement, qui accroit le sentiment de respect tout autant que la mise à distance de l’être aimé, que la disparition de l’amour.
« Je l’ai pris et je l’ai mis dans le temps gris, près de la mer, je l’ai perdu, je l’ai abandonné dans l’étendue du film atlantique. Et puis je lui ai dit de regarder, et puis d’oublier, et puis d’avancer, et puis d’oublier encore davantage, et l’oiseau sous le vent, et la mer dans les vitres et les vitres dans les murs. Pendant tout un moment il ne savait pas, il ne savait plus, il ne savait plus marcher, il ne savait plus regarder. Alors je l’ai supplié d’oublier encore et encore davantage, je lui ai dit que c’était possible, qu’il pouvait y arriver. Il y est arrivé. Il a avancé. Il a regardé la mer, le chien perdu, l’oiseau sous le vent, les vitres, les murs. Et puis il est sorti du champ atlantique. La pellicule s’est vidée. Elle est devenue noire. Et puis il a été sept heures du soir le 14 juin 1981. Je me suis dit avoir aimé. » Marguerite Duras
« (…) De nombreuses recherches s’articulent aujourd’hui autour de la correspondance de l’image et du son, et de leurs mystérieuses affinités. Chez Duras, au contraire, il n’y a pas accord du son et de l’image, mais bien plutôt écart. Toute sa science tient précisément dans cet écart, soigneusement entretenu et dans la faille duquel tout se joue et se glisse. Le miracle est qu’au sein de cet écart, elle finit par nous faire croire à une nécessaire correspondance. Dans L’Homme atlantique, cet écart est à son maximum, car le noir peut bien porter ou supporter toute parole. La poésie ne s’avère ainsi nécessaire que pour celui qui écoute ; elle est pour le reste tout à fait contingente, « libre » et non liée. Ce film se donne donc, pour une part, comme un film-manifeste, une sorte de nouvel art poétique où l’idée visuelle (il faudrait dire l’épure) compte plus que la vision.
Est-ce ainsi – et au sein même du cinéma – à la littérature que revient Marguerite Duras, à la littérature orale, celle d’avant le piège de l’écrit et la mort blanche des mots ? Littérature du noir, terrain et lieu privilégié de l’énonciation. (…) » Florence de Mèredieu (> Lire l’article complet)
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