Mai-68 est à la fois un moment crucial et un mirage. Le mirage de toutes les versions synthétiques de ce qui s’est passé s’en chargent. Le philosophe Dembe dit notre seul identité c’est le trajet. Partant de cette idée nous avons voulu réunir des trajets que nous suivons mot à mot dans des entretiens qui durent une heure.
Pour chacune des 22 personnes interrogées, Mai-68 a joué un rôle de bascule, d’accélérateur. Donner à entendre cette addition, c’est proposer une immersion pour ressaisir en profondeur ce qui s’est réellement débattu.
C’est permettre à chacun de se forger sa propre opinion.
Tout semble se jouer autour d’une conception ouvriériste. Dès lors il y a ceux qui vont pousser cette logique au paroxysme. Et ceux qui vont imaginer d’autres fronts de questionnements.

Il y a ceux qui participent au bref été du mouvement libertaire du 22-Mars
Il y a ceux qui se lancent dans la fabrication de journaux
Il y a ceux qui accompagnent les révolutions des pays tiers
Il y a ceux qui s’établissent en usine
Il y a ceux qui profitent du bouillonnement social pour franchir les  barrières
Il y a ceux qui en veulent en finir avec le bagne asilaire
Il y a ceux qui veulent changer l’université
Il y ceux qui essayent de mettre des mots sur ce qui bouge
Il y a ceux de la Sorbonne

Qui sont-ils ?


Marc Kravetz, journaliste Prix Albert Londres

 De Stéphane Gatti, France, 2017, 1h13

 

Ancien élève ( peu de temps ) de l’École normale  (entré en 1961), Marc Kravetz a été secrétaire général du bureau national du syndicat étudiant UNEF sous la présidence de Bernard Schreiner (avril 1964-avril 1965). Il en démissionne en janvier 1965 Proche d’André Gorz, il est alors suffisamment emblématique de l’engagement estudiantin pour que, sous la plume acide de Mustapha Khayati, son nom soit utilisé pour stigmatiser tout le mouvement politisé de l’époque dans le célèbre pamphlet situationniste, De la misère en milieu étudiant, publié à Strasbourg en novembre 1964. Il participe en compagnie de Pierre Goldman à une session de formation révolutionnaire et de guérilla à Cuba pendant l’été 1967. En mai 68, il participe au journal Action. Voir précédemment.

Entre 1975 et 1990, il a couvert pour le journal Libération la plupart des conflits du Moyen-Orient : guerre du Liban, conflit israélo-palestinien..

Libération inscrit, pour quelques années, l’une des traces persistantes de Mai 68. Fondé par Sartre et des militants maoïstes en 73, le journal se veut un anti-journal, en prise directe sur la parole populaire. Le journalisme dominant est une médiation bourgeoise à éliminer, qui manipule en prétendant montrer. À l’intérieur de Libé, les salaires sont égaux, les tâches partagées. Rien n’est proscrit de ses colonnes ; et la plume transparente de « journalistes » sous contrôle doit transcrire sans reste et sans ajout les mots de ceux qui n’ont jamais la parole. Cependant, pour faire face aux difficultés financières et aux procès à répétition, le quotidien se professionnalise. La division du travail se remet peu à peu en place, et le journalisme en tant que tel redevient un souci. Ancien militant de l’Unef, Marc Kravetz arrive en 79, au moment de la remise en question de ce Libé « écrivain public ». Quoique militant, auteur en 68 de L’Insurrection étudiante, un livre « à chaud » sur le mouvement, il reste attaché au rôle du journaliste – un métier à réinventer avec son regard propre sur le monde plutôt qu’une rente de situation à éliminer. Il témoigne de ce désir, inspiré notamment par le new journalism et la contre-culture américains. Désir d’abord minoritaire et perçu par les militants les plus radicaux comme une première tentative de récupération. Ce premier Libération soixante-huitard hantera néanmoins longtemps le quotidien, même lorsque l’arrimage militant disparaîtra au gré de ses alignements, voire de son anticipation des reniements successifs de la gauche à partir de 81.

 

 


 

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