Samedi 11 janvier 2025 · 21h30
Édito
Cette proposition s’inscrit dans le sillage du premier volet du cycle LE VENTRE DE LEUR TERRE porté à 4 mains et donné au VIDEODROME 2 en avril 2024. Chemin faisant, au fil des échanges, un corpus de films hétérogènes s’étoffe et donne lieu à un agencement de façon à permettre un dialogue ouvert entre des formes cinématographiques éclectiques, avec cette fois, comme motif central, la chasse. Marcher dans les pas des chasseurs, les suivre à la trace, pourrait bien nous conduire jusqu’aux bêtes, au monde sauvage qui, toujours, se dérobe à nos yeux, et pour lequel on peut nourrir une étrange nostalgie, celle d’un monde à jamais perdu. Parler de la chasse qui leur est faite, c’est parler aussi des animaux et même peut-être pour eux, « pour » c’est à dire « à la place de »** ces « maîtres silencieux ».***
* Maurice Merleau-Ponty, La Nature. Notes, Cours de Collège de France, 1956-60
** Gille Deleuze, L’Abécédaire, A pour animal . Entretien réalisé par Claire Parnet, 1988-89
*** Jean-Christophe Bailly . Le Parti pris des animaux . 2013
Vive la baleine
de Mario Ruspoli et Chris Marker | 1972 | Italie, France | 18 min
« Pendant des siècles, les hommes et les baleines ont appartenu à deux camps ennemis qui s’affrontaient sur un terrain neutre : la Nature. Aujourd’hui, la Nature n’est plus neutre. La frontière s’est déplacée. L’affrontement se fait entre ceux qui se défendent, en défendant la Nature, et ceux qui la détruisant, se détruisent. Cette fois, les hommes et les baleines sont dans le même camp. Et chaque baleine qui meurt, nous lègue comme une prophétie : l’image de notre propre mort. (…) Et si vous n’êtes plus là pour nous éclairer, vous et les autres bêtes, croyez-vous que nous y verrons dans le noir ? » Chris Marker, Vive la baleine
Ce film succède au sublime Les Hommes de la baleine (1956) filmé par Mario Ruspoli lui-même (avec une caméra Bell-Howell 16mm couleur) dans les Açores l’une des dernières chasses au cachalot au harpon à main. D’abord monté avec une bande son non synchronisée, Mario Ruspoli avait convoqué dans un second temps le cinéaste Chris Marker pour écrire et dire un commentaire qui accompagnera définitivement les chants et les gestes des marins partis en mer pour y mener une véritable lutte et contribuer ainsi à la survie de leurs familles. On ne peut s’empêcher de rapprocher ces hommes de ceux filmés par Vittorio De Seta la même année pour son magnifique Paysans de la mer.
On est en 1972, soit une dizaine d’années plus tard, quand Mario Ruspoli et Chris Marker réalisent cette ode à la baleine, animal légendaire alors menacé d’une extinction totale. Avec le style piquant qu’on lui connaît, Marker nous livre un commentaire acerbe qui place ce géant mammifère comme témoin du déséquilibre causé par l’humain – « assoiffé de toujours plus » – sur la nature qu’il entraîne dans sa propre perte. C’est ici la baleine qui raconte son histoire, dénonçant l’acharnement dont elle est victime. Créature d’abord crainte et méconnue, elle a fini par représenter pour une partie de l’humanité un moyen essentiel de survie. Puis l’industrialisation est apparue, et avec elle le grand capital. La chasse à la baleine est alors devenue un moyen de faire du profit. Le massacre pouvait commencer.
Entre Les Hommes de la baleine et Vive la baleine, les mentalités ont évolué. L’écologie a fait son apparition, l’esprit de lutte de 1968 également. Nous passons ainsi du film ethnographique, où l’humain et la nature étaient traités sur un plan d’égalité, au pamphlet incisif, proche de l’esthétique du tract, dénonçant le sort que le monde capitaliste réserve à la nature. La puissance coloniale des États se mesurait autrefois au nombre de baleiniers et l’invention du canon-harpon a transformé la pêche en massacre industriel. Esthétique du tract – poétique toutefois – aussi parce que le film fait abondamment appel à une iconographie tirée de la peinture ou de l’image imprimée.
Scènes de chasse au sanglier
de Claudio Pazienza | 2007 | Belgique, France | 46 min
Avec Jacques Sojcher, Claudio Pazienza
Dans ce voyage poétique et intime, une voix médite sur les images et sur la mort, créant un parallèle – qui traverse cette programmation – entre chasse aux images et images de chasse. Ni l’une et l’autre ne sont réglées par un dénouement évident, et « il s’agit de chercher sans être sûr qu’on va trouver » (extrait d’un entretien avec Claudio Pazienza pour la revue Vertigo). C’est le rapport entre les images et le réel et entre les images et la mort que le cinéaste interroge à travers la métaphore cynégétique.
« La mort et les images ont leurs rituels » nous dit Claudio Pazienza, et ici, ce rituel passe par une chasse au sanglier, la reproduction du fusil chronophotographique de Etienne-Jules Marey et la pratique de la taxidermie comme idéal de conservation.
Au début du film, à la voix off “tu dis un arbre” répond l’image d’un livre ouvert au milieu d’un bois ; on y voit un arbre sous lequel on lit “arbre”. Puis, dans un paysage meurtri par une urbanisation médiocre, à l’écran un arbre à la forme tortueuse, moitié mort moitié verdissant. Cet arbre-là est-il plus réel que celui du livre ? Ou n’est-ce qu’une métaphore de cet être double que forme le père mort et le fils vivant ? L’image qui unit le visage mort du père à celui du fils à son chevet, les deux “pour la dernière fois dans le même cadre”, que dit-elle du deuil, de l’absence irrémédiable ? Insatisfait des mots comme des images, le cinéaste explore le toucher, pris dans ses diverses acceptions ; la sensation tactile tout d’abord, les pieds nus fouillant le sol ; puis la blessure avec la bête touchée à mort par la balle du chasseur. Le film s’achève sur l’empreinte d’une main dessinée sur la peau déplacée de l’animal. Un film sur l’impossibilité du cinéma peut-être ?
Informations pratiques
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La billetterie ouvre 30 minutes avant le début de chaque séance.
Nous pratiquons le prix libre (chaque personne paie ce qu’elle veut/peut/estime juste).
Nous croyons au prix libre comme possibilité pour chacun·e de vivre les expériences qui l’intéressent et de valoriser le travail accompli comme il lui paraît bienvenu. L’adhésion à l’association est nécessaire pour assister aux projections, elle est accessible à partir de 8€ et valable sur une année civile.
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