Du vendredi 29 juin au dimanche 1er juillet, sur une proposition d’Antonella Porcelluzzi/Les Films de la Grande Vision, l’Institut culturel italien, la Casa Consolat et le Videodrome 2 s’associent pour vous proposer une exploration de l’œuvre du cinéaste expérimental italien Alberto Grifi.
Alberto Grifi est considéré comme un des cinéastes expérimentaux italiens les plus importants. Suite à la projection de ses films à la Dokumenta de Kassel en 2017, il est enfin reconnu internationalement, à l’instar de Mekas, Debord et Farocki.
Né en 1938, il nous a quitté en 2007. Son œuvre, qui consiste en un nombre considérable de films, vidéo-reportages et projets de différentes natures (invention et construction de machines, photographie, écriture), est conservée par l’Associazione Culturale Alberto Grifi, qui se situe à Rome.
Alberto savait s’entourer d’artistes contemporains (Baruchello, Sarchielli, Braibanti, Patrizia Vicinelli, la Cooperative du Cinema Indépendant de Rome…), de mentors artistiques importants (Duchamp, Man Ray, John Cage). Il savait surtout s’entourer de « videoteppisti » (videobandits), cinéastes professionnels et amateurs militants et prêts à tout découvrir et vivre avec lui, dans ses aventures ciné-sociales.
Ces trois jours sont une introduction à une œuvre large et complexe, entre le pur cinéma et la lutte. Ses thèmes et aventures visuels sont encore et toujours plus brûlants d’actualité.
Pour contribuer à faire connaitre le cinéma d’Alberto Grifi en France et à Marseille, nous proposons de commencer par une exploration de son chef-d’œuvre, le film fleuve Anna, plus de 3h30, issu de 11h de rushes. « Anna » mêle le renouvellement de la maîtrise cinématographique, de la pensée sociale, de l’histoire, du contact politique et populaire, tout en représentant les expérimentations communautaires de l’époque. Film porte-parole d’une pensée à la fois marginale, avant-gardiste et questionnante.
LE PROGRAMME COMPLET
Vendredi 29 juin à 20h30 – Projection d’ouverture – Entrée à prix libre
À l’Institut culturel italien (6, rue Fernand Pauriol – 13005)
:: Lia (27′, 1977, It)
(sous-titré en français par AA. Porcelluzzi)
+ Présentation du livre L’evoluzione biologica di una lacrima de Stefania Rossi, et du livre Il cinema Laboratorio di Alberto Grifi d’Annamaria LIcciardello, en présence des auteures
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Samedi 30 juin à partir de 15h30
Au Videodrome 2
15h30 – Table ronde – Entrée à prix libre
Le laboratoire expérimental d’Alberto Grifi
Une traversée de son travail et de sa pensée aux côtés d’Annamaria Licciardella et Stefania Rossi
19h30 – Projection – Entrée à 5€ (+3€ d’adhésion)
:: Anna
d’Alberto Grifi et Massimo Sarchielli – 1975, Italie, 3h33, VOstFR
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Dimanche 1er juillet à partir de 14h30 – Entrée à prix libre
À la Casa Consolat (1 rue Consolat – 13001)
14h30 – Carte blanche à Alberto Grifi
Extraits de rushes d’Anna
+ Transfert per Camera contro Virulentia (22’, 1966-67)
+ Non Soffiare nel Narghilé (30’, 1970)
+ La prima volta che Zavattini provo’ a usare il videotape (83′, 1993)
19h – Dîner de clôture
Un « menu inspiré », créé par Casa Consolat.
+ Sam Karpiena, chanteur-auteur en langue occitane, « Chansons de l’Usine », guitare/voix.
< Samedi 30 juin au Videodrome 2 >
15h30 – Table ronde
Le laboratoire expérimental d’Alberto Grifi
Une traversée de son travail et de sa pensée aux côtés d’Annamaria Licciardella et Stefania Rossi
Annamaria Licciardello : historienne, spécialiste du cinéma expérimental italien, auteure du livre Il Cinema Laboratorio di Alberto Grifi, ed. Falsopiano, 2017.
Stefania Rossi : enseigne les arts visuels au Lycée Artistique Henry Matisse de Rome, auteure du livre L’Evoluzione Biologica di una Lacrima, ed. Timia, 2017
Antonella Porcelluzzi : auteure, réalisatrice et curatrice italienne, vit et travaille à Marseille depuis 2007.
19h30 – Projection
Anna
d’Alberto Grifi et Massimo Sarchielli – 1975, Italie, 3h33, VOstFR
Mineure, enceinte, Anna s’enfuit de son collège. Elle rencontre Massimo Sarchielli sur la place Navone, lequel la conduit dans un appartement, qui sert de studio de tournage, pour devenir le cobaye d’une expérimentation « réaliste ». Les deux réalisateurs voudraient reconstituer une histoire larmoyante mais Anna ne joue pas le jeu et les techniciens se révoltent contre le scénario. Un électricien, Vincenzo, répond au besoin d’amour de la jeune fille : il entre dans le champ et lui déclare sa flamme, en même temps qu’il livre ses récits de luttes ouvrières. Le support vidéo permet d’enregistrer le temps réel et la « vraie vie », sans recourir aux coupes et aux manipulations de la fiction de cinéma. La praxis de la désobéissance que réalisent Anna et Vincenzo permet aux deux jeunes de s’approprier leur vie dans une dimension révolutionnaire.
« En janvier 1972, Massimo Sarchielli et Roland, un ami allemand, ont rencontré Anna sur la piazza Navona. Elle était mineure et enceinte. Elle s’était enfuie, peu de temps avant, de la dernière maison de correction française, où ses parents, émigrés en France de la Sardaigne, l’avaient envoyée. Arrivée à Rome, elle dormait sur le trottoir ou en prison. Elle, c’est Anna. Et lui, c’est Massimo. Ici, avec Anna (ref. photo). Voilà, comme c’était un cas désespéré, pour ainsi dire, Massimo et Roland l’invitèrent à la maison et écrivirent un paquet de notes, tout en observant Anna, à mi-chemin entre un scénario et une oeuvre philanthropique.
On s’est rendu compte qu’Anna était très différente de ce que nous voulions qu’elle soit. Anna voulait de l’amour, pas de la pitié. Prenons deux exemples. Un jour, nous avons décidé de tourner une scène où Anna prenait sa douche. Massimo et Roland avaient déjà
écrit la scène un mois avant : Anna nue, enceinte, sous l’eau…
Massimo lui rappelle ses répliques : « Alors tu dis : ‘J’ai peur de glisser…' » Cette scène se poursuit pendant un moment et Massimo se comporte comme un maton indulgent. Il reproche à Anna d’être sale, de ne pas laver la vaisselle. Il plaisante même sur le fait que s’échappent finalement des poux. Après la douche, quand il a bien lavé Anna, et qu’il s’auto-congratule de l’avoir nettoyée, récupérée, rendue digne d’être accueillie dans sa maison, il se regarde la main
et voit un pou, un vrai pou. Puis, les poux s’échappent par dizaines et on se met tous à se gratter. On s’est haïs. Plus personne n’avait envie de jouer et cela se voit très bien dans le film. (..) »
(Alberto Grifi introduit « Anna »)
NOTES SUR « ANNA », un EXTRAIT DE: Il cinema Laboratorio de Alberto Grifi d’Annamaria Licciardello, ed. Falsopiano 2017
« En 1972 Alberto Grifi commence une aventure cinématographique d’importance fondamentale pour son activité individuelle de cinéaste et j’oserais dire aussi pour le panorama du cinéma italien de l’époque. Anna, ceci est le titre du film, après la réalisation et lors des premières projections, se présente comme un véritable événement, tous les journaux en parle et il fait beaucoup parler de lui.
L’idée originaire du film est de Massimo Sarchielli, acteur toscan, ami de Grifi de longue date. En janvier 72, sur la Piazza Navona, Massimo rencontre une fille de seize ans nommée Anna, fille de parents sardes émigrés en France, qui a passé une bonne partie de sa jeune vie dans des pensions. Après s’être échappée du dernier de ces instituts, et après avoir erré en Europe et en Italie, d’une commune à l’autre, Anna (d’après des documents présents en archive il s’est avéré que ce n’était pas le vrai nom de la fille) arrive à Rome, enceinte et droguée, sans argent et obligée de dormir dans la rue. Sarchielli la reçoit chez lui et, frappé par ce qu’Anna est et représente, commence à prendre de nombreuses notes sur ce qui se passe avec elle (les choses dites, les comportements et les situations) et il décide d’en faire un film en demandant à Grifi d’y collaborer. Ceci est la « préhistoire » d’Anna, comme elle a plusieurs fois été racontée par les protagonistes eux-mêmes. Les tournages sont réalisés en pellicule, initialement c’était du 16mm capturé avec une mdp Arriflex, principalement louée à la journée dans les week-end et un Nagra pour l’enregistrement du son. Quelques bobines de pellicule sont offertes par Ansano Giannarelli et de Renzo Rossellini. Après quelque semaine après le début du tournage, la mdp est remplacée par un magnétoscope Akai 1⁄4″ et puis par un Sony de 1⁄2″, fournis par un personnage fantôme qui travaille dans l’import/export. L’usage de la vidéo, moyen peu connu et diffus à l’époque en Italie, apporte un changement profond dans la manière de réaliser les tournages. Le tournage achevé, le matériel tourné fait environ treize heures.
Quelques bobines vidéo sont projetées en 1973 pendant les Rencontres de Salerno organisées par Giuseppe Bartolucci. Il est encore cependant impossible en Italie de projeter des images vidéo au grand-public. Ainsi, deux ans après, en 1975, ils réalisent une version en pellicule. Grâce à Adriano Aprà, qui à cette période gère le Filmstudio 70, le matériel est visionné par Ulrich Gregor, directeur du Film Forum de Berlin, qui met à disposition l’argent nécessaire pour convertir en pellicule une partie des bobines vidéo. L’équipement professionnel pour ce type de travaux n’était pas encore disponible en Italie, où alors à des coûts très élevés. Et ainsi Grifi construit un « vidigraphe », de façon artisanale : il construit un dispositif apte à synchroniser une mdp et un Nagra avec un magnétoscope, et les images sont renvoyées par le moyen d’un écran. Ce système, du fait de l’inventivité et de la simplicité de la réalisation, ne se nomme pas par hasard « vidigrifo ». Grâce à cette invention, une version d’Anna fut montée en 16mm, pour la durée de 225 minutes. Elle fut projetée d’abord au Film Forum de Berlin, puis à la Biennale de Venise et l’année suivante au Festival de Cannes, dans la section Les yeux fertiles, en connaissant toujours un succès considérable. À l’automne du 1975, la projection d’Anna ouvre la deuxième salle du Filmstudio 70 de Rome, pour ensuite être présentée dans de nombreux ciné-clubs d’Italie. (..)
Avec Anna, Grifi va au-delà du film, au-delà du cinéma, pour montrer que, même à une échelle microscopique, la réalité montre des comportements subversifs, que la caméra peut documenter, re-proposer, répandre, comme un virus incontrôlé, et que la parole aussi peut faire exploser la réalité, en utilisant par exemple les formes de la provocation, du déplacement des plans et des niveaux du discours. Faire et parler de cinéma est pour Grifi une manière pour faire et parler de la vie. Ce qui reste est Anna, un film dans lequel l’aventure humaine et cinématographique réalisée pendant les tournages se traduit, au-delà de la volonté des auteurs et des acteurs, en une œuvre violente, cynique, poétiquement délicate et impalpable, humainement, et en partie contre son gré, épique. (…) »
(Annamaria Licciardello, trad. A.Porcelluzzi)
Le cinéma « de còre » (« de coeur », en argot romain), Interview d’Alberto Grifi – Rome, 6 juin 2004
Extrait du livre de Stefania Rossi L’evoluzione biologica di una Lacrima, ed Timia, 2017.
(traduction par A.P.)
« Stefania Rossi : Dans Anna je réussis à lire deux parcours, un relatif au langage cinématographique, je pense typiquement à un certain néoréalisme, comme Visconti, (La terra trema), ou Pasolini, pour l’usage du direct, du dialecte, et pour la capacité de rendre le sens d’une réalité vraie et dégradée; l’autre, lié aux recherches du cinéma expérimental et d’avant-garde mené par des artistes comme Guy Débord, pour lequel l’expérience artistique sert à construire des situations aptes au dépassement du système capitaliste. Du reste toi même, tu soutiens la nécessité que l’art soit dépassé avec la destruction de ce système. Est-ce qu’il s’agit de deux parcours inconciliables et en conflit perpétuel? À propos, tu te considères metteur en scène, artiste ou chercheur d’autre chose?
Alberto Grifi : Lyotard disait « nous sommes le capitalisme », nos corps ont grandit et ils se sont développés parce qu’ils ont volé tout ce qui nous était autour. Nous avons grandi de ce vol continu, exercé jusqu’au point qu’il semblerait devenu un droit naturel, ce pillage toujours aussi impuni, apparemment gratuit. Le problème est complexe parce que quand on s’enfonce dans les choses, dans ces choses que le marché laisse dehors et que le projet révolutionnaire oublie aussi, alors on s’aventure en une zone inexplorée. La critique qui est appliquée est certainement plus liée aux Situationnistes. L’art est impuissant parce qu’il est séparé par la vie, et tout le monde du symbolique est par sa nature remplaçable par les rêves qui peuvent être produits par le marché, donc par le capital. L’idée de spectacle à la fin est celui-ci: un ouvrier est volé de son humanité, du sens de sa vie, depuis huit heures, dix heures, autrefois c’étaient quatorze heure de travail. (..)
(..)
A.G. : Non, je me situe absolument en dehors des catégories. J’aurais honte d’être défini avec un de ces termes, ils me semblent d’une sottise totale. Ils t’invitent en outre à représenter ta personne selon un modèle ou une cage: justement ce que veut le marché.
S.R. : Tu as parlé de l’importance de l’usage de la vidéo dans Anna, en disant « qu’elle a permis une transformation profonde au niveau de la dimension cinématographique et de ses langages. C’est la première tentative de sevrage, peut-être, des impératifs économiques qui conditionnent le cinéma et ensuite la vie filmique. » J’ai de toute façon remarqué un formalisme persistant, le set, même si, dans la déconstruction du langage cinématographique, Anna sort de l’étau du clap. Comme tu le dis: « il est plein de citations linguistiques qui se font lire comme cinéma traditionnel: les flous, les mises au point, ce qui se passe avant le clap (même si le clap n’y était pas), et après le stop. Et tu continues « cette position cinématographique était dépassée depuis le moment où du point de vue de la réalisation il n’y avait plus de besoin de choisir un moment plus significatif qu’un autre, j’enregistrais le devenir de la vie sans choix et sans censures! ». Nous reprenons du dernier piqué: tu crois vraiment que ce soit possible d’enregistrer la vie dans sa complexité sans opérer des choix, du plan aux lumières, du son aux bruits de fonds? Et à propos dans le montage de Anna plus de sept heures de matériaux tournés manquent, qu’est-ce que tu ne m’as pas fait voir?
A.G.: Entre temps les rushes se sont détériorés et je ne me rappelle pas ce qu’il y a dans les autres heures. Il y a moi, Alvin Curran et d’autres gens, tous habillés en chirurgiens, nous sommes en train de faire un film sur la chirurgie pour pouvoir payer Anna, les reprises d’Anna, les peu de bandes magnétiques que nous achetions. Cependant il est vrai que le film a d’une façon ou d’une autre été monté.
Lorenzo Micheli Gigotti : Et puis il a été monté pour le cinéma, parce qu’il fut monté pour le montrer au Festival de Berlin. (..) »
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