Édito

 

« L’œil suit les chemins qui lui ont été ménagés dans l’œuvre. »
Paul Klee, Pädagogisches Skizzenbuch

 

L’architecture est un art qui a besoin d’être parcouru et traversé, par l’oeil et le corps. Le cinéma s’en charge, il traduit ses formes et volumes. Le cinéma a toujours cherché à incarner ces deux dimensions (le regard et le mouvement), et pour ce faire, il a traduit l’architecture dans ses formes, en essayant de rendre compte de cet art à travers son langage autre. Mais quel cinéma y parvient ? Pas celui qui se contente de raconter la vie des architectes ou l’histoire des bâtiments… Dans ce parcours entre théorie, films et cinéastes, il ne s’agit pas seulement de juxtaposer l’organisation des voies du regard dans l’architecture et au cinéma. L’architecture organise et pré-agence les chemins du regard : la mise en scène cinématographique prépare la direction du regard du spectateur. Le cinéma documentaire sur l’architecture veut en restituer la genèse, la structure et le sens, et réalise cela à travers de multiples inventions audiovisuelles, qui ne se limitent pas à une description historico-artistique des œuvres, mais vont jusqu’à la tentative radicale de traduire mimétiquement les formes architecturales en formes cinématographiques.

L’expérience filmique de l’architecture – le rendu documentaire de ses formes et de ses structures – se déroule à travers une utilisation autonome de l’espace-temps cinématographique qui fait également appel à l’imagination et à l’impression de réalité. Nous, spectateurs, devenons l’œil de la caméra, nous nous identifions à elle. Parce que seule la caméra, convenablement guidée, s’immergeant et se déplaçant à l’intérieur de la forme architecturale, s’identifiant à la continuité spatio-temporelle de cette forme, peut nous rendre une image structurellement cohérente avec la forme architecturale : une image qui, à son tour, lorsque nous assistons à la projection, s’identifie à l’espace-temps réel de notre existence. Le cinéma documentaire devient ainsi un moyen très fin d’investigation de l’espace habité et d’analyse du langage architectural, un outil capable de rendre visible et « expérimentable » ce que les écrits, les dessins ou les images photographiques ne peuvent pas.

Avec les corpus de films que nous proposons, les spectateurs seront en présence d’un regard, celui de la caméra, qui touche et ressent, traduit et parcourt : un regard capable de nous faire percevoir les caractéristiques spatiales d’un environnement ou d’un artefact architectural, la manière dont il se rapporte aux éléments voisins, sa couleur, le poids et la légèreté, le tissage de ses surfaces, l’air qui y circule, la relation avec l’extérieur, le non construit, le vide, le vert, le ciel. Et le temps : chaque architecture a son temps propre, qui n’est pas celui de l’ère de la construction, mais le temps relatif à l’espace dans lequel l’oeuvre architecturale est placée. Comment le cinéma, art de l’espace, peut donc rendre sensible l’architecture, art du temps ?

 

Federico Rossin

 

 

Federico Rossin : Historien du cinéma, programmateur

 

Après des études de littérature, d’histoire de l’art et de philosophie, Federico Rossin devient historien du cinéma, conférencier, formateur et passeur d’images. Il mène ses recherches dans le domaine du cinéma expérimental, documentaire et d’animation. Depuis 2007 il travaille comme programmateur indépendant pour de nombreux festivals en Europe (États généraux du film documentaire de Lussas, Cinéma du Réel, DocLisboa, Filmmaker de Milan, Ivac de Chypre, etc) et cinémathèques (Film Museum de Vienne, Cinémathèque Française, Cineteca Italiana, etc).
Il intervient aussi comme formateur dans des réseaux d’éducation populaire (en France avec Peuple et Culture) et dans des cadres universitaires (Créadoc d’Angoulême, École documentaire de Lussas, SoundImageCulture de Bruxelles, École nationale supérieure d’art de Limoges). Il a publié trois livres et des dizaines d’essais dans des revues, livres et journaux, en France et en Italie.

 

 

Évènement en partenariat avec l’ENSA•MARSEILLE

 

Établissement public d’enseignement supérieur et de recherche, l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille assume l’ensemble des missions dévolues aux vingt écoles d’architecture françaises placées sous la tutelle du Ministère de la Culture, de la formation initiale à l’échange des savoirs et pratiques au sein de la communauté scientifique et culturelle internationale.


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