Mourir comme un homme, oeuvre aussi ébouriffante que langoureuse de Joao Pedro Rodrigues, offre le récit d’une quête, qui, aux côtés d’une recherche plastique impressionnante, se risque tout autant du côté de la comédie musicale que du mélodrame. Reconnu pour son licencieux O Fantasma ou encore plus récemment L’Ornithologue, Joao Pedro Rodigues nous plonge ici dans les méandres de la vie de Tonia, travestie fatiguée, au bord de la déchéance, qui s’accroche de toute son âme à son passé de star des cabarets de Lisbonne. Choisir Mourir comme un homme à la fulgurante beauté poétique pour oser répondre à L’Année des treize lunes de Fassbinder revient à ici à conjurer la mort et à rendre honneur au chemin vers la joie accompli par Tonia, oscillant sur une ligne de crête, risquant d’abandonner face à l’absurdité de l’existence et de son devenir, et offrant au spectateur le happy end d’une réconciliation.


Si le mélodrame porte en soi les excès des désirs, des amoures, des vies, il est aussi le chemin d’un processus de reconnaissance pour les personnages qui le peuplent. La trajectoire existentielle de Tonia, dont le corps s’épuise et s’abîme jusqu’au pourrissement, s’articule autour d’une question aussi complexe que sa formulation est simple : mourir en femme ou en homme ? Face à la décomposition physique, face au risque de décomposition morale, face à l’amour en péril, face au glissement inéluctable vers la mort et l’anéantissement, la réponse est celle d’une oeuvre accueillant par la multiplicité des registres convoqués la recherche de l’être devant le monde  : un film transgenre où logique des rêves et du fantasme, sursauts poétiques et tremblements pathétiques côtoient le réalisme le plus cru avec force et éclat pour traduire la résistance au simple devenir « mort » d’une vie singulière.

 

Mourir comme un homme
de João Pedro Rodrigues – 2009, Portugal, 2h13, VOstFR, copie 35 mm

Tonia, une transsexuelle vétéran des spectacles de travestis à Lisbonne, voit s’effondrer le monde qui l’entoure : son statut de star est menacé par la concurrence des jeunes artistes, tandis que son corps subit les affres du temps et de ses choix. Pressée par son jeune amant Rosário d’assumer l’identité de femme et de se soumettre à l’opération qui la fera changer de sexe, Tonia lutte contre ses convictions religieuses les plus intimes.

 

« Avec Mourir comme un homme, enfin, João Pedro Rodrigues complexifie encore cette poétique de la mutation en mettant en regard des questions de genre filmique et de genre sexuel autour de la figure de la greffe. Le drame a pour objet la vaginoplastie prévue mais redoutée par Tonia, déchirée entre son désir de satisfaire son amant hétérosexuel et sa peur de trahir ceux qui lui ont donné son corps d’homme : sa mère et Dieu. Le générique de début défile sur un gros plan montrant le petit pliage en papier avec lequel un chirurgien explique à Tonia comment on transforme un pénis en vagin. Il fait suite à un long prologue de film de guerre autour d’un exercice militaire dans une forêt nocturne lors duquel deux soldats s’échappent de leur régiment pour faire l’amour contre un arbre. Ils tombent ensuite sur une maison isolée, où deux travestis chantent autour d’un piano. L’un des deux soldats sort son fusil et s’apprête à tuer le couple. L’autre l’en empêche. Le premier accuse l’autre de défendre des copines de son père, l’autre l’abat aussitôt. Le statut fictionnel de ce prologue est complexe. D’un côté, il se rattache au récit qui va suivre par ses personnages : le soldat meurtrier est Zé Maria, le fils qu’a eu Tonia dans sa jeunesse, et qui réapparaîtra fugacement au cours du drame. Mais surtout Tonia rencontrera ce couple de travestis lors d’une étrange excursion avec son amant Rosario, qui rompt le cours du drame et précipite sa fin – on la retrouvera ensuite hospitalisée à cause du rejet d’une greffe de poitrine. La forêt de ces travestis burlesques sera le lieu d’un conte, où les protagonistes iront chasser un animal imaginaire, le dahu, avant d’assister à l’apparition d’une lune géante qui colore de rouge le monde et fait entendre aux promeneurs émus une chanson sur le calvaire interprétée par une voix androgyne. Le film de guerre et le conte sont comme deux greffes tentées sur le drame d’une greffe rejetée. C’est la bordure mythique et psychique du récit, là où se joue la violence et le merveilleux de la transformation physique, qui est la réinvention de soi comme une chimère, comme un être imaginaire, mais aussi une violence exercée contre la chair, contre la religion, contre l’institution – une guérilla sociale. »
Olivier Cheval pour Débordements

> Lire l’article d’Olivier Cheval sur le cinéma de Joao Pedro Rodrigues


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