Édito
En écho à la programmation de teen movies présentés au Videodrome 2 du 19 au 22 février 2025, je vous propose pour le mois de mars une sélection de douze films autour de cette catégorie culturelle d’êtres humain·es regroupé·es sous le label « adolescent.e » et ses dérivés. Je ne vais pas réécrire ici des définitions et/ou un état de l’art sur la signification de cette appellation, mais il s’agit, comme vous le savez sûrement, de ce supposé état d’interrègne dans lequel le sujet est perçu comme un être pré-rationnel : c’est-à-dire en proie à toutes sortes de pulsions incontrôlables liées à une inéluctable quête d’identité, qui, une fois arrivée à son terme, annonce le début d’un nouvel âge de la vie en tant que citoyen·ne conforme (voir Nietzsche). Du high-school movie le plus culte au film indépendant progressivement légitimé par la critique, cette sélection se compose de films réalisés dans les années 90 et 2000 pour la simple et bonne raison que c’est ce que je préfère. Donc exit les épaulettes et les franges gonflées de Pretty in Pink et Breakfast Club pour laisser place aux jeans taille basse et jogging velours de Megan Fox dans Jennifer’s Body (mais pas que).
Choisir c’est renoncer et l’élaboration de cette sélection a été un processus particulièrement douloureux, ponctué d’innombrables hésitations et de débats internes. Finalement bridée par le maximum de douze affiches de film qu’il est possible d’imprimer derrière le programme papier que nous vous distribuons gracieusement, il fallait bien faire des choix et j’ai fait celui d’intégrer un documentaire à la place de Ken Park (Larry Clark et Edward Lachman, 2002, également disponible au vidéoclub). Beyond Clueless de Charlie Shackleton (2014) interroge le genre du teen-movie et la manière dont est racontée l’adolescence au cinéma à travers 180 exemples de films plus ou moins cultes. Une occasion de découvrir des pépites de ce genre -souvent décrié, jamais égalé-, mais aussi de se pencher plus précisément sur l’analyse de certains d’entre eux, tel que (au hasard), l’incontournable Clueless (Amy Heckerling, 1995). Star parmi les stars des teen-movies, il est au genre ce que David Lynch est à l’étudiant en cinéma en quête de crédibilité intellectuelle. Clueless est une adaptation contemporaine du roman de mœurs Emma de Jane Austen, ici transposée dans le contexte de la bourgeoisie huppée et matérialiste de Beverly Hills. Emma devient Cher Horowitz, une lycéenne pourrie gatée qui utilise son sens de la mode et ses talents d’entremetteuses pour faire le bien autour d’elle. Ce film est également un manifeste de mode preppy pour lequel la costumière Mona May a reçu un Oscar (je ne sais pas si c’est vrai mais j’espère). En effet, Cher (Alicia Silverstone) et ses deux acolytes Dionne (Stacey Dash) et Tai (Brittany Murphy) nous livrent un fashion show perpétuel dont l’histoire a retenu l’iconique ensemble jupe-blazer en tartan jaune et une des scènes de makeover les plus réussies de l’histoire du cinéma. Ce chef-d’œuvre a inspiré après lui une myriade de classiques du genre tels que Mean Girls ou Wild Child, malheureusement indisponibles au vidéoclub.
Parmi les teen-movies les plus standardisés sortis des grands studios hollywoodiens, il y a effectivement eu des bangers dont Jennifer’s Body de Karyn Kusama (2009), qui a déjà été programmé au Videodrome 2 en 2021 dans le cadre du cycle Des films sous l’escaliers #5 (fallait être là #1). On reste dans le surnaturel avec The Craft d’Andrew Fleming, également déjà projeté en 2020 dans le cadre du cycle ☼ DRAMA QUEENZ ☼ Over-the-top is teenager (fallait être là #2). Pour continuer dans le monde de la sorcellerie, je tenais à ajouter Harry Potter et la Coupe de Feu (2005) car malgré que ce volet ait la réputation d’être le plus détesté de la saga, il rentre magnifiquement dans le thème avec tous ces enjeux relationnels amicaux et amoureux typiques des premiers émois adolescents et des bouleversements hormonaux qui leurs sont corrélés. Donc oui, j’aurais pu jouer le jeu de proposer des films un peu moins blockbuster coded, tels que Heavenly Creatures (Peter Jackson, 1952) ou Ghost World (Terry Zwigoff, 2001), mais juste pour la scène du bal de Noël, ce film devait obligatoirement figurer dans cette liste. Et aussi, car ça me fait plaisir de faire cohabiter Harry Potter et la Coupe de Feu et But I’m a cheerleader dans la même phrase. Vous avez sûrement déjà entendu parler de ce film si vous êtes venu·es le dimanche 5 janvier 2025 au Videodrome 2 car Itty Bitty Titty Committee (un autre film de la réalisatrice Jamie Babbit) a été projeté ce soir-là dans le cadre du cycle Lesbians Out Loud. Si vous l’avez vu et apprécié (ce qui est surement le cas puisque tout le monde riait dans la salle), alors vous aimerez le célèbre But I’m a cheerleader (1999), en plus il y a RuPaul qui joue dedans.
Dans la catégorie teen movie fuckep up, Gregg Araki est sans conteste le roi. Un des films de sa Teenage Apocalypse Trilogy s’appelle d’ailleurs Totally F***ed up, mais c’est le seul qu’on n’a pas au vidéoclub. En revanche, nous avons les deux autres, Nowhere et The Doom Generation, manifestes queer post-punk dans lesquels on suit les pérégrinations de jeunes adultes nihilistes, « enfants du sida et de MTV » selon les mots de Gregg Araki. Ce genre de teen movies indépendants sont également l’apanage d’un autre rendez-vous régulier du Videodrome 2, intitulé Dark Sweet Sixteen, qui se concentre comme son nom l’indique sur les aspects les plus sombres de l’adolescence. Le vidéoclub est par ailleurs riche de plusieurs films de ce type, caractérisés par une volonté de représentation plus proche du naturalisme, dont par exemple Elephant de Gus Van Sant, Spring Breakers et Gummo de Harmony Korine ou encore Bully et Another day in Paradise de Larry Clark. Ce dernier est par ailleurs l’auteur de Wassup Rockers, ici présent dans cette liste, dans lequel on suit la rencontre d’une bande d’adolescents latino-américains issus des quartiers populaires de South Central, fan de culture punk et de skate, avec des jeunes filles riches de Beverly Hills. Il est filmé à la manière d’un documentaire avec un acteur non professionnel (Jonathan Velasquez) en rôle-titre, permettant ainsi d’amener cette dimension plus brute et spontanée propre à l’approche réaliste, ce que l’on retrouve aussi dans Thirteen (2003). Ce film explore les relations complexes et toxiques de l’amitié entre Tracy (jeune fille sage blonde) et Evie (jeune fille rebelle brune), et examine les dynamiques de cette relation marquée, sans surprise, par le dévergondage de la première par la deuxième, et par une forme d’emprise/fascination/désir amoureux-sexuel de Tracy pour Evie. C’est un peu comme Respire de Mélanie Laurent mais avec un peu plus de style, du fait notamment de sa photographie contrastée caractéristique d’une D.A. générale orientée pop-punk/early y2k (aucun de ces n’existent dans la Bible).
Pour finir, c’est quand même marrant de se dire que Catherine Hardwicke, la réalisatrice de Thirteen, -héritier de pas mal de codes des teen movies indé-, est la même personne qui réalisera plus tard la saga Twilight, superproduction hollywoodienne par excellence dans laquelle Robert Pattinson s’est excusé d’avoir joué. Et le fait de parler de Twilight me permet de faire une transition maladroite pour mentionner le dernier film de la sélection. En effet, Twilight est une saga pour ado, de la même manière que l’est Hunger Games (dont le premier volet est également disponible au vidéoclub), et celui-ci présente de fortes ressemblances scénaristiques avec le roman japonais Battle Royale, qui a lui-même été adapté au cinéma en 2000 par Kinji Fukasaku. On retrouve le même principe de punition étatique sous forme de combat à mort entre ados dans une arène. Sauf que dans le cas de Battle Royale, celle-ci n’est pas la conséquence d’une révolution échouée, mais d’un ras-le-bol de l’éducation nationale qui estime que les jeunes d’aujourd’hui ont perdu toute notion de respect, et envoie donc toute une classe de lycéen.nes sur une île isolée de l’archipel afin de s’entretuer dans le but de redonner aux adolescent·es nippon·es le goût de l’autorité et des valeurs traditionnelles. TW beaucoup de sang.