Jean-Daniel Pollet a été un cinéaste précoce et autodidacte. Un inventeur qui, comme son contemporain John Coltrane, s’est saisi de motifs entêtants, d’un alphabet d’images pour les épuiser dans toutes les combinaisons possibles que lui ont permis le cinéma (jusqu’à la dislocation dans Contretemps).
Pollet fut fasciné par les perspectives du Nouveau Roman, mais ses films sont tout sauf littéraires. Leurs textes, signés Alexandre Astruc, Jean Thibaudeau ou Maurice Born, restent des rushes. Coupés, montés, ils contribuent à la dimension polysémique et polyrythmique d’un maillage où le passé se reconstruit à chaque inscription dans le présent des images, dans le mouvement de leur déroulement
Damien Bertrand pour La Cinémathèque française
Refusant d’embrasser l’héritage d’une famille d’industriels, Jean-Daniel Pollet a très tôt affirmé son désir de films. Ayant obtenu d’accomplir son service militaire au Service cinématographique de l’armée, il réalise à 21 ans Pourvu qu’on ait l’ivresse, (1958, 1er prix du court métrage à scénario au Festival de Venise la même année). Précurseur de la Nouvelle Vague pour les uns, son enfant pour les autres, hors des cercles critiques et pourtant les deux pieds dans son temps, c’est en filmant qu’il découvre et pense le cinéma. La pratique est chez lui fondamentale, la matière première. L’inventivité de Jean-Daniel Pollet s’illustre dans l’hétérogénéité des genres qu’il a embrassés dans la fabrique de ses films. Durant plus de 30 ans, il fabrique des films dans tous les genres, tous les formats. En 1990, Pollet, renversé par un train, frôle la mort. Ce drame intervenu en cours de production teinte Trois jours en Grèce de la couleur bouleversante du souvenir, pour un dernier voyage baigné de lumière méditerranéenne. Jean-Daniel Pollet continue, encore. Il tourne Dieu sait quoi en 1994, inspiré de la poésie de Francis Ponge et Ceux d’en face en 2001. Le cinéma de Pollet est là où sont les choses. « J’essaie de mettre autant d’énergie dans l’image que cette fleur m’en donne », dira-t-il en ouverture de Jour après jour, film posthume achevé par son ami Jean-Paul Fargier.
C’est l’hommage à un grand cinéaste que nous tentons ici, avec la complicité de La Baleine et et La Traverse, après deux années d’attente que la suspension du temps et son ventre mou, alourdi d’angoisses nous ont imposées. Le passage du temps, ses gouffres et ses revenants ne sont pas sans lien avec l’œuvre de Pollet. Il faut saluer ici la fermeté et la détermination de celles et ceux qui souhaitent cette œuvre vivante. La Traverse par exemple à qui nous devons la restauration de son œuvre essentielle.
« Pollet n’a jamais fait deux fois le même film. Chaque nouveau projet est l’occasion de faire l’expérience d’un nouveau genre, d’un nouveau type de récit, d’une nouvelle écriture filmique, d’un nouveau format, d’une nouvelle forme de montage ,etc. Si Pourvu qu’on ait l’ivresse (1957) et Gala (1962) sont des fictions qui ont l’air de documentaires, Méditerranée (1963) et Bassae (1964) sont des documentaires qui ne documentent rien mais qui inventent une toute nouvelle manière de tourner autour de leur objet. Ce qui ne l’empêche pas de réaliser plusieurs longs métrages dont deux – L’amour c’est gai, l’amour c’est triste (1968) et L’Acrobate (1976) – sont autant des comédies populaires que des portraits en creux de Claude Melki, son acteur de toujours. Et quand, au début des années 90, il se lance dans un film sur Francis Ponge, plutôt que d’illustrer sa poésie, il la rejoue par le montage, la bande-son, et les mouvements de caméra, inventant une nouvelle forme, celle de l’essai filmique sur les choses.
Malgré la très grande diversité de sa pratique cinématographique, un film de Pollet est toujours immédiatement reconnaissable. Le placement de sa caméra, ses mouvements de rotation partielle ou d’avancée lente, le caractère formel et éminemment poétique des montages, son goût des visages, son sens du burlesque, etc, tous ces traits dessinent un style/ Un style qui n’aura de cesse de varier et de réinventer mais qui est décelable dès son premier film.
Des Bals de Bagatelle à l’île de Spinagola, de la forge de Pour Mémoire au chalutier des Morutiers, du métro d’Athènes au cimetière du Père Lachaise, Pollet n’a jamais cessé de déplacer sa caméra, de la confronter à de nouvelles situations, lieux, visages ambiances, discours. Son cinéma est un cinéma de la rencontre, du dehors, de l’imprévu. Le réel pour lui c’est ce qui arrive et qu’on ne peut complètement embrasser, qu’il faut donc contourner, prendre de côté, à propos duquel on doute, mais qu’il faut bien sûr, encore et toujours filmer. »
Extrait de Machine Pollet, ouvrage collectif , projet de recherche né d’une rencontre entre enseignant.es et étudiant.es de quatre écoles supérieures d’art : La Haute école des arts du Rhin, l’Ecole supérieure d’art Annecy Alpes, l’Ecole supérieure des beaux-arts de Nîmes, l’Ecole supérieure d’art de Clermont Métropole.
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