Deux moyen-métrages radicalement opposés pour cette troisième soirée. Dušan Hanák repart sur les traces et prolonge le travail du photographe Martin Martincek, qui entreprit dans les années 60 d’établir une sorte de dictionnaire plastique de sa région natale de Liptov, dans les Tatras (la partie des Carpates qui sépare la Slovaquie de la Pologne, là où Murnau avait filmé certaines séquences de Nosferatu). Le film le plus lyrique de cette semaine, sera précédé par une œuvre bien plus méthodique ; Une sale histoire de Jean Eustache, restaurée et de nouveau visible depuis peu. Articulé autour d’un témoignage de voyeurisme, le film contient son propre remake, et nous interroge sur le montrable et l’immontrable, tout en nous happant par ce que cette sale histoire peut contenir d’immoral et d’interdit, et donc d’intrigant…


Images du vieux monde

Dušan Hanák – Tchécoslovaquie, 1972, 1h06

Dušan Hanák donne la parole à de vieux fermiers solitaires d’un village des Tatras en Slovaquie, en les questionnant sur ce qui fait leur raison de vivre. Leurs témoignages sont empreints de la douceur et de la nostalgie de leurs souvenirs, mais révèlent surtout l’âpreté d’un quotidien qu’ils ont appris à affronter avec le temps. Envers et contre tout, ils gardent une foi inébranlable en la vie et un désir de liberté absolu.

Lorsqu’il sort de la FAMU en 1965, Hanák est alors un des seuls réalisateurs de son pays à emprunter la voie du documentaire, qu’il explore en jetant un regard d’auteur sur la société slovaque. Son style cinématographique privilégie la liberté de collages visuels créateurs d’associations poétiques inédites, plutôt que la continuité d’un déroulement narratif. En déplaçant ainsi les barrières entre documentaire et fiction, ses films relèvent davantage de l’essai poétique et oscillent sans cesse entre naturalisme et lyrisme. C’est dans cet univers singulier que Dušan Hanák fait évoluer des personnage marginaux, toujours à la frontière entre deux mondes, et mus par la quête d’un idéal d’existence, posant la question : qu’est-ce qu’une « vie authentique » ? Par la tendresse et la justesse du regard qu’il porte envers ces laissés-pour-compte de la société, le réalisateur sublime la liberté et la « beauté intérieure » (dixit lui-même) d’individus aux prises avec la dure réalité extérieure d’un système répressif.

Interdit dès sa sortie par le régime communiste, soucieux de préserver une certaine image de ses terres annexées, le film a attendu quinze ans pour être présenté au public. Salué par la critique internationale, il est depuis considéré comme un chef-d’œuvre du cinéma documentaire européen.


Une sale histoire

Jean Eustache – France, 1977, 50min

Dans un salon parisien, un homme (Michael Lonsdale côté fiction, Jean-Noël Picq côté documentaire) raconte à plusieurs personnes comment il est devenu voyeur dans les toilettes d’un café parisien, et pourquoi il y prit goût. S’en suit une discussion sur la sexualité, la libération et les tabous. Œuvre énigmatique et mythique, drôle et dérangeante, ordurière et puritaine, Une sale histoire a relancé en 1977 le scandale autour de la figure de Jean Eustache.

« J’ai voulu faire un coup artisanal, c’est pourquoi j’ai été de la conception à la sortie en salles. Je suis producteur-réalisateur-distributeur du film. Pour un petit métrage c’est possible de s’occuper de tout. (…) Si cette opération marche, ça ne veut pas dire : faites comme ça. Ça veut dire : voilà ce qu’il ne faut pas faire, c’est l’exemple même de quelque chose qui ne marche qu’une fois, c’est une exception à tous les niveaux, celui du sujet d’abord. Le sujet, je l’avais tellement digéré depuis des années que je ne peux pas en parler, sauf par boutade. J’ai essayé maintes fois de raconter cette histoire, pas comme une histoire que j’avais vécue, mais comme un film que je voulais faire, comme un scénario. Et on m’arrêtait toujours : « Je ne veux pas en savoir plus… c’est pas possible ! »… J’ai éprouvé le besoin de faire ce film pour raconter cette histoire jusqu’au bout et qu’elle soit entendue. (…) J’ai pu constater que « l’évolution des mœurs » c’est de la frime et que le fond des tabous demeure » Jean Eustache

« Tout le génie d’Eustache est d’avoir fait un film sur le voyeurisme où rien n’est montré de ce voyeurisme et où tout est dans le dire, tout est dans l’art et la manière de dire et de raconter l’irracontable. » Nicole Bousseyroux


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