Après Mémoires sauvées du vent, Feux est le second cycle (2/4) d’une programmation sur les quatre éléments au cinéma.
À la question « Si votre maison brulait, qu’est ce que vous emporteriez ? », avec une mélancolie teintée d’ambition prométhéenne, Jean Cocteau répondait : « j’aimerai emporter le feu ».
On imagine aisément la scène. Un homme, sans nostalgie, contemplant ses effets se dissolvant indistinctement dans la chaleur de l’incendie. Il panote la tête. Des relents de flammèches s’impriment sur sa rétine. Les flammes sortent à présent de ce qui fut des fenêtres. Devant l’image de ce brasier informe, il rêve. Face à lui, il ne reste déjà plus grand chose de la stabilité qui constituait l’assise des choses. Les lourdes habitudes du monde ancien sont consumées. À présent, il est comme condamné à vivre à la lueur du grand bûcher inextinguible qui l’habite.
Toutes nos maisons, nos habitudes, nos certitudes, ont étés un jour en proie aux flammes. Feux convoque des cinéastes qui, comme Cocteau, sont portés par des feux vécus (à dessein ou malgré eux) et qui cherchent constamment à redéfinir la juste manière d’habiter le feu, à vivre dans ses images.
Dans ses Fragments pour une poétique du feu, Gaston Bachelard évoquait la richesse intime qui éclot à la lumière de l’image de la flamme contemplée et intimement possédée. « La psychologie du feu vécu décrirait, si elle pouvait trouver une cohésion des images, une intériorisation des puissances d’un cosmos ; nous prendrions conscience que nous sommes feu vivant dès que nous acceptons de vivre les images, les images d’une prodigieuse variété que nous offrent le feu, les feux, les flammes et les brasiers. Et la plus grande leçon que nous trouverions dans une psychologie du feu vécu, c’est peut-être de nous ouvrir à une psychologie de l’intensité – de l’intensité pure – de l’intensité d’être. »
Les films de cette programmation ramènent sur le même plan l’intensité des paysages ardents et l’intensité des regards et des corps qui les arpentent. Ils mettent en images des espaces informes, potentiellement rongés par les incendies et les laves, des terres noires et ouvertes, des déserts soumis aux guerres, des antres secrètes irriguées par les lumières de la fournaise. Les individus qui peuplent ces scènes désolées ont pour seul bagage un feu léger qu’ils trainent partout. Ils chantent l’intensité d’être et incarnent, bon gré mal gré, « la torche inextinguible d’un feu nouveau. » (Apolinaire)
Le cycle s’ouvrira avec un grand film épique, incandescent, longtemps oublié, La Lettre Inachevée de Mikail Kalatozov. Un survival lyrique, où quatre géologues seront les proies hallucinées d’un immense incendie Sibérien, magnifié par la photo du grand chef opérateur soviétique : Sergueï Ouroussevski.
On suivra ensuite l’étrange déambulation de Roman Signer, dans le documentaire de Peter Liechti. Prométhée raté, bouffon sublime, R. Signer défie le feu du monde avec sa pyrotechnie loufoque, narguant avec malice la nature conquise des choses. Funambule adroit sur la drôle de limite qui existe entre le ridicule et la poésie (il envoie littéralement des pétards à la face du Vésuve), son cheminement est un pied-de-nez constant à la petitesse de l’homme face à la nature.
Le feu vécu semblera difficile à retrouver pour Mariana, « femme blanche en robe rouge dans un pays de misère noire » (J.M Frodon). Dans Casa de Lava de Pedro Costa, les détresses des personnages, sont recueillis sur les rivages d’une île d’outre-monde, où les volcans sont filmés comme des lunes et les visages comme des volcans.
Vendredi une séance double, où les controversés poèmes wagnerien d’Herzog, Leçons de Tenèbres, côtoieront leur film miroir, Feu inextinguible d’Harun Farocki, petit précis analytique pour le désarmement du monde et le réarmement du regard.
Nous entrerons dans la forge des mémoires (Pour Mémoire) avec Jean-Daniel Pollet. Là, nous admirerons à la lueur des rougeoiements de la fournaise, les travailleurs « arrachant le monde à l’informe », fondant les hommes, cherchant les ressources entre le mythologique et le politique pour reforger un monde.
Et c’est dans les limbes du palais de vulcain que se clôturera ce cycle avec Andrei Roublev d’Andrei Tarkovski, qui comme un phénix verra sa parole mourir dans les flammes puis se faire réanimer par elles.
Olivier Geli
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