Édito

 

« Je sors toujours d’un film de Samuel Fuller admiratif et jaloux,
puisque j’aime recevoir des leçons de cinéma »

François Truffaut

Dès 1965, à 53 ans, Samuel Fuller apparaît dans les films d’autres metteurs en scène. Godard le premier avec Pierrot le Fou, lui fait incarner un cinéaste qui, à la réplique de Belmondo : « J’ai toujours voulu savoir ce que c’était exactement que le cinéma », répond de façon péremptoire par une formule devenue iconique : « Un film c’est un champ de bataille : Amour, haine, violence, action, mort, en un mot, émotion. »

Samuel Fuller et Jean Luc Godard s’étaient rencontrés en 1965 après que ce dernier ait qualifié Shock Corridor de “Chef d’œuvre du cinéma barbare”, dans les Cahiers du Cinéma.

« J’étais sujet à l’excès, Jean Luc était un minimaliste. J’aimais bien ce type, mais certainement pas parce qu’il m’a dit combien mes films ont eu un impact sur lui. Je me moquais de cette histoire d’influence. Il faut être honnête, pour ses premiers films, Godard avait volé pas mal d’idées dans Le Port de la drogue et Les Bas-Fonds new-yorkais. Ça ne me dérangeait pas , mais pourquoi ne pas appeler un chat un chat.(…). Nous n’avions jamais répété cette foutue scène. Je ne savais pas ce que Jean Luc voulait, alors j’ai tiré une bouffée de mon cigare et j’ai joué mon propre rôle, lâchant une phrase de mon cru. Une prise et c’était réglé. Godard a adoré. Je serais riche si j’avais touché un centime à chaque fois qu’un magazine de cinéma ou un programme de festival imprimait cette foutue citation. »

On le verra ensuite chez Luc Moulet, Dennis Hooper, Wim Wenders (trois fois), Steven Spielberg, Claude Chabrol, Larry Cohen, Mika et Aki Kaurismaki, Amos Gitaï, clôturant sa carrière d’acteur par le bien nommé The End of Violence en 1997.

Ces cinéastes (et bien d’autres) ont aimé les films de Samuel Fuller, se sont inspirés de sa façon de raconter des histoires, de ses idées sur la nature humaine : « Même mes personnages inventés étaient sincères. Que mon histoire mette en scène une pute, un général, un indicateur ou un flic, j’essayais de les rendre vrais. Pas héroïques, pas patriotes, pas aimables mais vrais c’est à dire fidèles à leurs origines et à leurs désirs. »

Que Sam vienne faire un tour dans leurs films ce devait être à la fois une citation, un symbole et peut être aussi, un talisman pour un peu de sorcellerie, pour que les dieux du cinéma leur soient favorables.

Pour beaucoup de réalisateurs Samuel Fuller est un héros, on peut le considérer comme le dernier grand cinéaste américain dont la vie fut le carburant authentique d’une œuvre unique en son genre. Reporter, soldat, scénariste, metteur en scène, producteur mais toujours indomptable et inassignable. Fuller avait le génie du scénario, une manière de dramatiser toute situation avec une pensée du cinéma très précise, un sens aigu de la mise en scène.

« Je pense que pour moi la clé du cinéma de Sam Fuller, c’est quelque chose que j’ai toujours connu dans ma propre vie, dont j’ai fait l’expérience, et à laquelle je peux m’identifier : la violence émotionnelle. La violence émotionnelle est bien plus terrifiante que la violence physique. Ce qui fait le plus peur dans la violence, c’est son processus : depuis la menace de violence jusqu’à la sortie de la violence. Dans n’importe quel film de Sam Fuller, chacun des cadres est sur le point d’exploser sous cette violence (…) Fuller pousse la réalité à la limite de l’absurde, et cela en devient plus réaliste. Cela ressemble plus à la vie. Les films de Sam avaient une force, une urgence qui pulvérisaient tous les clichés, du racisme au nazisme, de l’horreur de la guerre à la brutalité du journalisme. Dans ses films domine toujours le besoin d’atteindre, aussi rapidement et complètement que possible, la vérité. »

Martin Scorsese

« La morale est affaire de travellings »

Luc Moullet

Le premier film de Samuel Fuller est un documentaire sur la libération du camp de concentration de Falkenau, le 8 mai 1945. Armé d’une caméra 16 mm envoyée par sa mère alors qu’il était sur le front, il passe en un instant de soldat soumis au feu de l’ennemi à celui de soldat témoin de l’horreur concentrationnaire. Il explique ainsi : « J’ai croisé le capitaine Walker, qui m’a dit : Vous avez toujours la caméra envoyée par votre mère ? J’ai répondu oui. Il m’a dit d’aller la chercher. Je suis revenu avec ma caméra, de la pellicule et je suis entré dans le camp. J’ignorais que j’allais tourner mon premier film. »

D’une durée de 20 minutes, il contient un très long plan séquence témoignant, sous la forme d’un panoramique, de l’extraordinaire sens moral et pratique de Fuller. Il choisit de montrer la réelle contiguïté des espaces entre le dedans du camp et son hors-champ. La durée du plan ainsi que son mouvement filé rétablissent au sein d’un même espace sensible le quotidien normalisé de la ville et l’horreur concentrationnaire, stade terminal de la barbarie moderne excédant en impensable les conséquences, craintes mais connues ou reconnues de la machine de guerre.

« C’est l’Impossible. Pas l’Incroyable, ni l’Horrifiant, mais un mot simple, que tout le monde peut comprendre, un seul mot. La chose importante, c’est que l’Impossible nous choquait, mais pas au sens où l’on utilise le mot “choc”. C’est plus fort que de rendre malade ou d’horrifier. C’est hypnotiser. Et le silence parmi nos soldats était très lourd, quatre ou cinq jours durant, on a gardé le silence. »

Cette confrontation originelle semble s’être répercutée plus tard, dans ses longs métrages, à travers une poétique filmique des enchaînements hétérogènes et contradictoires, une porosité permanente entre la violence et la tendresse, l’amour et la haine, l’amitié et l’amour. D’où ses fameuses ouvertures de films, d’une frénésie sans préliminaires : tout commence par des coups, des meurtres, des traumatismes. Il faut avec Fuller en passer par le choc pour atteindre une forme souterraine de douceur et, surtout, de vérité.

Samuel Fuller a réussi à créer, dans un cinéma a priori très masculin, de magnifiques personnages féminins et à filmer subtilement des êtres provenant de communautés alors peu représentées dans le cinéma américain. Les couples chez Fuller sont sauvages, il n’y a pas d’assujettissement de l’un à l’autre, ce sont avant tout des individualistes défendant leur territoire. Il faudrait faire une généalogie de la femme dans le cinéma de Samuel Fuller, depuis les femmes de pouvoir (Mary Welch dans Violences à Park Row, Barbara Stanwyck dans Quarante tueurs) jusqu’aux strip-teaseuses et prostituées qui ne s’en laissent pas conter (Constance Towers dans The Naked Kiss et Shock Corridor, Jean Peters dans Pickup on South Street).

Son empathie envers tous ces hors-la-loi, ces fous, ces asociaux, ces prostituées, ces imposteurs qui peuplent ses films crée un type de héros fullerien à contre-courant des modèles hollywoodiens de l’époque. Il a déniaisé et fait grandir Hollywood.

« Pour moi, l’anarchie, c’est remuer ciel et terre contre ce qui est mauvais pour le peuple. J’aime l’anarchie. Un anarchiste, à mon avis, c’est le VRAI révolutionnaire* »

* (Il était une fois Samuel Fuller. Histoires d’Amérique racontées à Jean Narboni et Noël Simsolo, éd. Cahiers du cinéma, 1986, p. 304)

 

Olivier Puech


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