Édito
En 1955, la France est en quelques mois percutée de plein fouet par le cinéma furieux, ambigu et sans concession de Robert Aldrich. L’assaut est si puissant que François Truffaut dira : “l’année 55 est l’année Aldrich”. Bronco Apache, Vera Cruz et Kiss Me Deadly sont de vrais chocs cinéphiliques et vont avoir un énorme impact sur la nouvelle vague car soudain le cinéma hollywoodien apparaît plus libre, plus brutal, plus fou.
Avec quelques autres, dont Samuel Fuller, Robert Aldrich qui met en scène ses idées sur la nature humaine, entre brutalité contextuelle et cruauté inhérente, va incarner une formidable promesse de renouvellement du cinéma américain de l’après-guerre. Le succès de Kiss Me Deadly, ce classique sans équivalent du film noir, lui permettra de devenir producteur sous la curieuse dénomination inversée de Associates & Aldrich. Loin de se cantonner au film de genre, Aldrich va réaliser de magnifiques et excessifs portraits de femmes interprétés notamment par Bette Davis et Joan Crawford (What Ever Happened to Baby Jane?), Kim Novak (The Legend of Lylah Clare) ou Beryl Reid (The Killing of Sister George), fabuleuses icônes dont Fassbinder se souviendra. On retrouve son traitement du visage des acteurs comme un masque outrancier et beaucoup d’autres tendances “Aldrichiennes”, comme l’attention portée au son, chez David Lynch qui cite abondamment Kiss Me Deadly dans Lost Highway. Cité par Jean Luc Godard dans Histoire (s) du Cinéma, les frères Coen et Quentin Tarantino lui doivent aussi beaucoup. On retrouve une telle outrance et une telle énergie dans les comédies italiennes des années 70 comme Affreux, Sales et Méchants d’Ettore Scola,1976 ou l’Argent de la Vieille de Luigi Comencini,1977 dans lequel Bette Davis interprète la vieille du titre.
Effets de dissonance (plastique, sonore) qui interviennent sporadiquement, grotesque qui menace toujours de pervertir les émotions violentes, agressivité théâtrale parfois jusqu’au limites de l’écœurement amplifiant les névroses de ses personnages, Aldrich filme des monstres dans des situations extrêmes, qu’il désamorce en éclairs de violente lucidité par un humour trivial. L’identité sexuelle est au centre d’une œuvre qui passe en revue différentes formes d’hystérie masculine transformées en manifestations d’hyper virilité et une féminité parfois étonnement agressive. L’affrontement entre les sexes peut prendre la forme de contradictions parfois brutales lorsqu’il filme les histoires d’amour, comme celle d’une adolescente héritière de bonne famille avec un truand attardé mental et curieusement pur dans The Grissom Gang.
Lui-même vilain petit canard d’une famille d’industriels de l’aristocratie américaine désespérant de cette progéniture, et dont il expose les horribles tendances dans The Grissom Gang, neveu de John Rockefeller, Robert Aldrich est un cancre patenté qui ne s’intéresse qu’au football (américain, bien sûr). Un oncle le pistonne pour qu’il “rentre” à Hollywood où il va beaucoup grossir, démesurément même, il sera assistant de Jean Renoir, Joseph Losey, Chaplin. Puis, refusé par l’armée américaine, il va profiter de cette période où beaucoup de ses confrères sont sous les drapeaux pour grimper rapidement les échelons le menant à la réalisation.
Proche du parti communiste, il n’y adhère pas pour une question de timing : “Je crois que si j’étais arrivé en californie en 1936 et non en 1941, je serai entré au parti. Être communiste à l’époque n’avait rien à voir avec le désir d’ériger des barricades. C’était une disposition d’esprit, une attitude face à la politique, à l’industrie cinématographique, au gouvernement et à l’administration Roosevelt. Cela n’avait rien de clandestin et je pense que toute personne un peu sensée était destinée à cette époque à devenir communiste. Il n’y a aucun doute la dessus. Lorsque je suis arrivé en 1941, ceux qui se reconnaissaient dans cette idéologie étaient de toute évidence les plus intelligents, les plus rapides, les meilleurs, ceux avec lesquels il était le plus stimulant de travailler.”
Olivier Puech
En quatrième vitesse (Kiss Me Deadly)
de Robert Aldrich | 1955 | États-Unis | 1h46 | Vostfr
Mike Hammer est un détective privé cynique, spécialisé dans les affaires de divorce, qui utilise de temps à autre son assistante pour l’aider dans ses magouilles poisseuses. Quand il prend en stop, de nuit, une femme qui finira torturée à mort, Hammer décide de se lancer dans une enquête que la police lui conseille vivement d’éviter. Hammer passe outre les avertissements, et catastrophiquement, de cadavres en cadavres, découvre une boîte mystérieuse, sujet de toutes les convoitises. Il se rend compte, trop tard, qu’il s’est embarqué dans une affaire qui dépasse ses compétences.
Mike Hammer (littéralement Mike Marteau) le protagoniste de Kiss Me Deadly est égocentrique, bourru et brutal, ses qualités héroïques sont loin d’être évidentes et la caméra d’Aldrich ne cesse de révéler la précarité de son point de vue. Il est coincé dans un système déterministe où un crime suscite un autre crime en réponse, où chacun court à sa perte. Le film ne cesse d’assener des chocs violents au spectateur dans un contexte de paranoïa, un Los Angeles délabré, hanté par la première bombe atomique et les angoisses catastrophiques d’un univers instable.
Olivier Puech
Libraire de profession de 1982 à 1991 et titulaire d’un master en Arts du Spectacle à l’Université d’Aix Marseille, il travaille depuis 2003 comme comédien avec les metteurs en scène : Sarah Sonthonnax, Nanouk Broche, Micheline Welter, Leopold Von Verchuren, Anne Claude Goustiaux, Danielle Bré, Christophe Chave, Justine Simon, Thierry de Peretti, Laurent de Richemond et Franck Dimech, dont il est membre du conseil d’administration de la compagnie, le Théâtre de Ajmer. Il a suivi pendant des années et jusqu’à son décès, l’enseignement d’Alphéa Pouget, danseuse et chorégraphe Lapone.
Membre fondateur du journal Taktik en 1988, Il a également, depuis 2015, une activité de chroniqueur théâtral au journal Ventilo et de programmateur au cinéma Videodrome 2.
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Death and Night and Blood #2