Qu’est ce qu’une carte blanche ? Un endroit de programmation confié à un regard, un geste de programmation d’un spectateur adressé à d’autres spectateurs, un espace que nous souhaitons, équipe de Videodrome 2, laisser ouvert. Cette carte blanche est portée par Lionel Vicari sous forme d’un court cycle articulant trois films : ….de la mort des idéaux hippies. Ces derniers plaçaient au centre la recherche de liberté, hors de la société de consommation, en rejetant les valeurs traditionnelles, notamment liées à la famille comme lieu de reproduction de ces dernières. Si « Hip » (que l’on retrouve dans « Hipster ») pourrait dériver du wolof « hipi » et signifier « ouvrir les yeux », Lionel Vicari nous propose une traversée en 3 films de la fin d’un mouvement de pensée et d’une époque : Zabriskie Point / Vanishing Point (Point limite zéro) / Dérapage contrôlé (Electra Glide in Blue).


« Une partie de l’humanité a cru, en un laps de temps aussi bref qu’un claquement de doigts, que l’on pouvait changer le monde. Que la planète Terre pouvait voir naître un humanisme profond, durable, fiable. Un humanisme sans arrière-pensée, où le bien-être commun (forme idéale de communisme) serait le fil rouge des générations présentes et futures. On a cru qu’on pourrait renverser les lobbies, qu’on pourrait démembrer le secteur militaro-industriel ; on a cru que le racisme, les fascismes, la pauvreté n’avaient plus d’avenir. On a eu foi en l’Homme, on a cru tout simplement.
Et la chute n’en a qu’été plus brutale, plus désespérée. Plus cynique, plus déshumanisée…

Pourtant les années 70, malgré tout, seront encore traversées par ces restes d’idéaux. La production cinématographique en attestera, tout comme la musique ou le nombre encore astronomique de sit-in et de grèves – pour faire court. Néanmoins, dès 1969 – année érotique pour certains, moins pour d’autres -, quelques artistes indépendants pressentent, sans être réellement capables d’analyser ce phénomène, que le fond de l’air s’assombrit. On parle là de Dennis Hopper (et de ses compères) qui, dans Easy Rider, road movie plus ou moins improvisé, plus ou moins fou, annonce(nt) que la fin approche, que l’idéalisme du Flower Power bat de l’aile. L’Amérique profonde, celle qui vote encore de nos jours Trump, mettra à mort ces motards épris de liberté, d’espace, de révoltes… Les promesses libertaires s’envolent symboliquement. Et sûrement aussi.

Suivront, rapprochés, trois films qui nous intéressent particulièrement puisqu’ils constituent la base de notre micro cycle.
Tout d’abord, Zabriskie Point (1970). Antonioni sort de Blow Up quand un ponte de la MGM lui propose de réaliser un film aux USA. L’envie du producteur est claire : surfer sur la vague montante qui a propulsé Antonioni sur le devant de la scène mondiale. Il lui confie alors un budget très significatif et lui laisse le champ libre. Dans Zabriskie Point, œuvre dense par excellence, le réalisateur italien s’empare à sa manière des interrogations sociétales de son époque. Via un road movie à la fois lumineux, sublime et torturé, il donnera une réponse déjà plus claire que celle de Hopper. Les revendications, les utopies sont à l’agonie. Le constat, sec et magnifié, usant d’une esthétique qui accroît le sens du propos, n’octroie aucune illusion. Le spectateur pris à parti conclura ce qu’Antonioni lui-même a déduit. L’humain perd sa place dans cette société de consommation de masse. L’idéaliste doit disparaître au profit du serviteur capitaliste. Les hippies, la contre-culture, tout ça, c’est fini. La police, force fasciste étatique, établit l’ordre, le rétablit, mate les objections, pleine de pouvoirs que l’administration Nixon lui concède. Oppression, écrasement de tout ce qui ne contribue pas à la libération des êtres, des âmes…

Vanishing Point (1971) ensuite. Autre road movie, autre réalisateur, Sarafian – moins connu. Histoire simplissime : aller d’un point A à un point B séparé par deux mille kilomètres en un temps record. Sauf que… Derrière cette sommaire situation se cache le questionnement d’un refus de l’ordre établi et de ce qui est en train de découler de la guerre du Vietnam, de l’influence des drogues, des pertes de sens, entre autres. Kowalski, l’anti-héros, nouveau cow-boy qui a un besoin irrépressible de fuir une réalité étouffante, va avaler du bitume, retracer le western, défier la police (et donc l’Etat) dans une Amérique divisée et déçue. L’odyssée moderne de Kowalski représente un bras d’honneur à l’encontre des valeurs WASP… Mais sa réaction traduit aussi le malaise qui règne au sein-même de ceux qui avaient initié la contre-culture. Le passage, si rapide, d’insurrections activistes à simples spectateurs d’une société aux idées devenues vagues, aux philosophies progressistes abandonnées est palpable à travers la clique de badauds qui croisent la route du cavalier électrique. De toutes parts, le bateau coule, la mort rôde, et s’impose…

Enfin, Electra Glide in Blue (1973). Faux road-movie, premier film de James William Guercio. John Wintergreen, jeune policier. Bécane rutilante, produit de marque au service de la loi. John Wintergreen fasciné par ses supérieurs, croit en l’autorité. Une lobotomie générative d’une sorte de malaise inavouable. La loi comme ultime/unique jalon. Il ne peut croire en rien d’autre. Son monde est trop naïf et vide pour opérer une prise de conscience. L’ordre sera, dans sa logique, le pont de corde possible entre les communautés hippies repliées et persécutées, et les autres, ces conservateurs chevronnés des certitudes nixonniennes. Ce film va encore plus loin dans la désillusion. A l’inverse d’Easy Rider où les protagonistes « peace and love » étaient descendus par des red neck, ce sont les défenseurs initiaux du Flower Power, les beatniks, qui à leur tour tueront le représentant de la discipline et du maintien de la sécurité. Un renversement de situation tragique qui décrit et dénonce subtilement, par déviance et déviation progressives, la destruction de ce qui a été rêvé, de ce qui a été le songe d’une nuit d’été…

Et le film qui mettra définitivement fin à tout sera Taxi Driver. Mais ça, c’est une autre histoire… »

Lionel Vicari

 

 


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