Dès son premier long métrage, À bout de souffle (1960), Jean-Luc Godard se montre attentif à la bande dessinée, au roman-photo et à la publicité. Il s’empare de ces images populaires pour construire certaines séquences cinématographiques, y fait des allusions ou les cite dans ses films, mais surtout — de façon plus originale et plus méconnue — s’en empare hors écran. C’est ainsi qu’entre 1960 et 1968, les films de Godard s’accompagnent d’un important appareil promotionnel inspiré par les bandes dessinées et les romans-photos qui paraissent aussi bien dans la presse spécialisée que dans les quotidiens ou les publications destinées à la jeunesse. Alors que le récit en images déferle en France, le cinéaste surfe sur cette autre vague nouvelle pour annoncer la sienne.
Au-delà de leur aspect promotionnel, les ciné-romans et les bandes dessinées conçus pour À bout de souffle, Une femme est une femme ou Alphaville participent à la fabrication du film chez Godard, en ce qu’ils fonctionnent comme des prolongement du cinéma hors la salle : une extension de l’action de l’artiste à l’ensemble de l’espace médiatique. En somme, le moyen pour Godard d’exercer son art en « contrebandes », de le déplacer vers un contrechamp populaire.
Jusqu’à présent inexplorées, les raisons pour lesquelles Godard s’empare du roman-photo et de la bande dessinée sont multiples : contourner la censure politique ou l’interdiction de ses films aux moins de dix-huit ans, inventer une forme de promotion moderne pour des films nouveaux, concilier cinéma d’auteur et culture populaire, penser un nouveau rapport entre image et texte, prolonger l’acte cinématographique, s’approprier et détourner les mass-media ainsi que le fera à sa suite l’Internationale situationniste…
Contrebandes Godard reproduit de nombreux documents restés inédits depuis les années 1960, et fait la part belle à plusieurs œuvres dans leur intégralité : les maquettes originales du feuilleton que Raymond Cauchetier — le plus célèbre photographe de plateau de la Nouvelle Vague, qui fut également l’un des plus talentueux réalisateurs de roman-photo — réalisa à partir d’À bout de souffle pour Le Parisien libéré ; le ciné-roman voulu par Godard pour accompagner la sortie d’Une femme est une femme ; la bande dessinée conçues pour la promotion d’Alphaville, parues dans Figaropravda, un faux journal promotionnel imaginé par Godard pour la sortie du film ; Journal d’une femme mariée, l’adaptation graphique du film éponyme que Macha Méril et Godard cosignèrent en 1965 ; une présentation du Petit Soldat dans les colonnes des Cahiers du cinéma, etc.
Ces documents sont introduits par les historiens de l’art Pierre Pinchon et Marie-Charlotte Calafat, et par un témoignage exclusif de Macha Méril.