Édito
Mal vu mal dit prend des nouvelles du « cinéma muet ». De ce cinéma « pauvre », qui n’a ni la couleur, ni la parole, qui n’a que les yeux. De ce cinéma qui a pourtant su nous donner à voir et à entendre quelque chose que nous n’avions jamais vu ni entendu.
Tous les films que nous proposerons seront projetés dans le silence. Comme l’écrivait Jean Louis Schefer à son égard :
« Le cinéma, même muet, n’a jamais pu être un cinéma silencieux. C’est plus entièrement un cinéma pris dans le chuchotement (les cartons, par exemple, lus à voix basse aux enfants au cours de projections). Et par ce silence chuchoté dans les premières images, un retour de cette poussière en nous, de cette lumière, de ces corps gris ; comme si un enfant, assis en nous, tenait encore notre main. »
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Une programmation proposée par Simon Gaillot et Olivier Geli.
The Marriage Circle (Comédiennes)
de Ernst Lubitsch | 1924 | États-Unis | 1h32 | Muet
Une chaussette trouée. Une chaussette trouée dans un palace, ça ne fait pas bien. Dans ces appartements aux portes trops grandes, aux fenêtres trop grandes mais aux miroirs trop petits, quelque chose ne passe pas. Ces décors sont ceux des opérettes, des vaudevilles, des rêveries désuètes. La chaussette trouée, c’est la mouche dans la soupe d’un mariage qui part à vau-l’eau. Mais il y a aussi cette étoffe dans laquelle on se prend les pieds, ces roses qui oscillent du sol au balcon, ces petites tasses délicates qui se touchent côte à côte, ou ces deux canotiers qui confondent deux hommes. Ces objets qui peuplent le film, nul ne sait les faire exister comme Lubitsch. De façon plus grandiloquente encore dans ses muets, Lubitsch développe son goût pour la métonymie et ses effets comiques. Dans The Marriage Circle, leur emploi est minutieux, aigre-doux, et c’est là que s’immisce la drôlerie ; en contournant le sentiment, mais sans refus net de se prendre à son jeu.
Ce qui fera plus tard qu’un film de Lubitsch est un film de Lubitsch (et rien d’autre) ; les dialogues ciselés, malicieux, riches en quiproquos, cette étrange horlogerie du rire, débarrassée de tout geste, cadrage, temps superflu, tout passe ici dans des effets de montage. On parle pourtant énormément, mais (presque) rien ne s’inscrit à l’image. Les cartons servent surtout de coupe, marquent une respiration nécessaire ; quant au reste, on le devine (ou se perd dans les sous-entendus). Ainsi les personnages se retrouvent constamment désarmés face à des situations qu’ils comprennent de travers, dont nous sommes complices et sans autre ressource que celle du rire. Les films de Lubitsch se ressemblent. II y passe quelques grands caractères et figures qui se déclinent à l’infini ; l’amant éconduit, l’invétéré séducteur, le badaud naïf, les femmes espiègles, le couple qui se fait, se défait, se refait. La frontière entre la frivolité et la moralité s’y trouve sans cesse brouillée : on sort de ses films sans trop savoir s’ils penchent du côté de la fable, de la farce, ou de la maxime (ou des trois à la fois). Mais The Marriage Circle est avant tout la grande ronde de nuit lubitschienne, où chacun danse avec le mauvais masque, où l’on se trompe chaque fois que l’on pense avoir vu ; c’est le jeu des certitudes qui s’effritent, l’espace des grandes substitutions – mais sans carnaval, en pudeur et avec la juste dose d’ironie.
(Aussi, pour achever de convaincre, The Marriage Circle était à la fois le film préféré de Chaplin, Hitchcock et Kurosawa.) – Simon Gaillot et Olivier Geli.
Informations pratiques
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La billetterie ouvre 30 minutes avant le début de chaque séance.
Nous pratiquons le prix libre (chaque personne paie ce qu’elle veut/peut/estime juste).
Nous croyons au prix libre comme possibilité pour chacun·e de vivre les expériences qui l’intéressent et de valoriser le travail accompli comme il lui paraît bienvenu. L’adhésion à l’association est nécessaire pour assister aux projections, elle est accessible à partir de 6€ et valable sur une année civile.
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