Dans un mouvement vers des formes alliant littérature et image le Videodrome 2 donne carte blanche à Pierre Guéry (poète, écrivain, traducteur) et à Boris Nicot (cinéaste et auteur). Ce cycle en carte blanche s’intitule « Chili : utopies, clivages et trahisons – autour de l’œuvre documentaire du cinéaste Patricio Guzman » et se déroule du mercredi 25 au dimanche 29 janvier 2017. Il sera repris du 21 au 25 février 2017.
« Je me souviens du 11 septembre 1973, jour sombre où l’Amérique fomenta un coup d’État pour abattre la révolution pacifique et démocratique qui se construisait dans mon lointain pays, le Chili, éliminant son président de la République, Salvador Allende, ce « fils de p.. » comme se plaisait à le dire Richard Nixon. Je n’oublierai jamais la brutalité de la dictature alors mise en place pour plus de 17 années, années de souffrance, de mort, d’exil et d’écrasement de la mémoire. Il est temps de se souvenir, car un pays sans passé ne peut pas avoir de futur. » Patricio Guzman
20h (entrée 5 euros + 3 euros d’adhésion la première fois)
Le cas Pinochet
de Patricio Guzmán – 2001, Belgique/Chili/Canada/France, 1h49
En 1998, le général Pinochet, en déplacement en Angleterre où il doit recevoir des soins, est arrêté par la police, sur la demande d’un juge espagnol. Ce document revient sur la personnalité du dictateur sud-américain et dresse le bilan de tous les crimes qui lui sont reprochés : enlèvements, séquestrations, assassinats, etc. Au cours de l’exercice de son pouvoir, il a entretenu des liens avec de nombreuses personnalités du monde politique international. Les victimes de la dictature commencent à rassembler des témoignages dans l’optique de son procès. Mais le gouvernement Aylwin, prudent, préfère désigner une commission Vérité et Réconciliation, destinée à faire la lumière sur 17 ans de terreur…
« Il s’agissait avant tout de relater des faits. De montrer le déroulement de la procédure entamée contre Pinochet. Suivre, pas à pas, les étapes de cette action judiciaire. Je ne crois pas avoir, ni même devoir faire œuvre d’historien. (…) Nous avons organisé une réunion pour donner la parole à chacun. Il y avait au départ une soixantaine de personnes. J’ai ensuite conservé quelques uns des témoignages. Cela n’a pas été évident. Si ces femmes – car les témoins sont en majorité des femmes – avaient résolument besoin de raconter ce qui s’était passé, ils leur étaient difficiles de s’exprimer. Ce n’est pas tant le désir de dire, de parler qui pose problème que la manière de dire, avec les mots justes, ce qui est arrivé. Ces femmes ont toutes été volontaires. Parce qu’elles s’obstinent, parce qu’elles veulent qu’on sache la vérité. (…) Qu’on n’oublie pas les paroles de ces hommes et de ces femmes était en effet un des objectifs du documentaire. Je voulais que s’installe entre eux et moi une communication. Que nous communiquions, qu’ils me communiquent des choses sur ce passé. Mais, étrangement, la communication s’est transformée en confession. Une sorte de confession informative. Et les rencontres sont alors devenues plus que des rencontres ; c’était à chaque fois des images du passé qui faisaient irruption, par l’intermédiaire de la caméra, dans notre présent. La confession a ceci d’étrange qu’elle fait mieux passer, auprès de celui qui écoute, l’information. L’art est un moyen de combattre l’indifférence et l’oubli. A n’en pas douter, l’art est un lieu essentiel de transmission de la mémoire. Mais je considère que d’autres moyens, comme le journalisme ou la justice, sont aussi de bons véhicules de la mémoire. Ils mettent en évidence ce qui, parfois, est ignoré. Mais faire acte de mémoire devrait être une action normale. C’est à cela qu’il faut travailler. »
Propos recueillis par Anthony Dufraisse, Fluctuat, 2001
Ce film a reçu le Grand Prix de la Compétition Internationale en 2001 au FIDMarseille
L’édito des programmateurs ::
La recherche des traces est consubstantielle à la lutte de Patricio Guzman, cinéaste indigné qui consacre sa vie à dénoncer ce coup d’État et son oubli. Dans son œuvre, la trace la plus infime, la plus anodine est l’objet d’une quête incessante car elle peut encore subsister lorsque tout est détruit. Peut-être les traces deviennent-elles alors la seule chance pour qu’une mémoire se constitue et qu’un récit collectif vienne relever l’horreur, parer au risque de son retour, panser les plaies, établir un terrain sur lequel une justice puisse être rendue ?
Depuis ce moment à la fois cruel et matriciel que fut pour lui, personnellement, le tournage de La Bataille du Chili et le coup d’État de 1973, Patricio Guzman mobilise et agence, au fil de ses différents opus, plusieurs palliatifs à l’oubli proprement cinématographiques. Inlassablement il reconstruit le lien entre passé et présent, nous conviant à une nécessaire relecture de l’histoire pour maintenir l’Histoire récente du Chili vivante. Être citoyen, être cinéaste sont pour lui les deux faces d’une même pièce, et filmer est également une façon d’analyser le développement et les conséquences de la répression infligée par la dictature, c’est-à-dire du terrorisme d’État.
Ce cycle sera l’occasion de découvrir ou de reparcourir l’œuvre indispensable d’un cinéaste majeur.
Il offrira aussi des temps de parole, de lecture et de débat nécessaires à la compréhension historique et politique d’un pays où l’Unité Populaire, démocratiquement élue en la personne de son leader Salvador Allende, a été violemment écrasée par le coup d’état du 11 Septembre 1973 : une répression sanglante et un recul sans précédent, portés par une bourgeoisie réactionnaire et par l’armée, avec la complicité diplomatique et financière des États-Unis qui voyaient là une occasion rêvée d’y installer rapidement un laboratoire et un étendard d’économie et de politique ultra-libérale en Amérique Latine.
En nos temps géopolitiques plus que troublés depuis qu’un autre 11 Septembre tristement célèbre (2001) a mis le feu aux poudres sur l’échiquier international ; à l’heure où diverses formes de populisme aux relents fascistes gagnent dangereusement du terrain dans de grandes nations pourtant emblématiques de la démocratie ; à l’heure où ces mêmes populismes font leurs choux gras de la montée des intégrismes religieux et des cassures sociales pour imposer des idées et des actes toujours plus individualistes et sécuritaires, il ne nous semble pas inutile de nous retourner, collectivement et face écran, sur un des régimes occidentaux les plus durs des cinquante dernières années, afin de comprendre comment un terrorisme d’État peut advenir en démocratie, et comment une dictature illégitime peut durablement et profondément affecter tout un pays même lorsqu’elle est déclarée officiellement morte.
Dans le regard qu’offre cette importante rétrospective, nous trouverons ensemble, peut-être, un peu de force, de souffle et de pensée pour affronter nos Hydres contemporains.
C’est ce à quoi le cinéma documentaire de Guzman, toujours en (r)évolution, nous engage.
Politiquement.
Poétiquement. »
Boris Nicot et Pierre Guéry
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