La forme d’une ville
La pratique de la dérive nous permettra de forcer l’inspiration et le respect de la page blanche.
Nos déplacements prendront la forme d’un scénario. Chaque arrêt, chaque lieu sera l’occasion d’écrire une nouvelle scène…

Videodrome 2, l’ESADMM, (l’Ecole Supérieure d’Art et de Design Marseille-Méditerranée), ses étudiants, ses professeurs, proposent un rendez-vous appelé à devenir régulier en 2017, pour visiter et interroger le concept de partition, à partir entre autres des travaux des étudiants. Ce projet est mené par Christophe Berdaguer, Brice Matthieussent, et Jean-Baptiste Sauvage, professeurs à l’ESADMM, dans le cadre d’un ARC, Atelier de Recherche et de Création, unité d’enseignement commune aux options design et art, qui sont proposées de manière transversale à tous les étudiants d’années 4 et 5.


« Une partition n’est pas une œuvre mais sa définition. Elle invente des systèmes de notation, des formes de dictionnaire. La partition est la partie invariable d’une œuvre. Elle ouvre sur les variations de son interprétation. Une œuvre à partition a besoin de l’intervention et des compétences des autres, elle n’existe que dans sa transmission, c’est une trace laissée en avant. Une partition est une œuvre qui se déclare dépendante de sa réalisation par d’autres, un objet en 2 dimensions qui se déclare dépendant de la 3e, un système de signes qui change de médium lors de son interprétation, une écriture qui change de lieu lors de sa lecture. Les œuvres à partition ont la passion du réel mais comme les héros de l’amour courtois elles l’étreignent de loin. Une partition se reproduit à l’infini avant d’être finie, elle est pré-pubère et néoténique », écrit Fabrice Reymond, intervenant associé à ce projet en 2016 et 2017.

Présentation et restitution des travaux d’étudiants de Beaux Arts
Lecture-projection de l’écrivain Fabrice Reymond accompagné des étudiants de l’ESADMM.

ANABASE, le jour du retour

 

Quelques sources, ressources et inspirations :

 Debord et l’expérience de la dérive :

Construction de situations, urbanisme unitaire, dérive : ces locutions qui réapparaissent à maintes reprises dans les premiers écrits de Debord, ceux des années cinquante et de l’Internationale Lettriste, où elles sont martelées comme des mots d’ordre, signalent le précoce intérêt de celui-ci pour les problèmes de l’espace, un intérêt qui, même s’il a revêtu par la suite des formes différentes, n’a jamais totalement disparu. Espace nu de l’écran noir ou blanc, vidé de toute forme ou représentation figurée, dans l’antifilm Hurlements en faveur de Sade (1952) ; espace de la page envahie par les « structures portantes » colorées d’Asger Jorn sur lesquelles flottent dans un apparent désordre des citations détournées (empruntées à Pascal, à Bossuet, à Baudelaire, à Apollinaire, à des manuels scolaires, à des romans de gare, etc.), dans l’antilivre Mémoires (1958) ; espace oeuvré en dur par des architectes visionnaires du genre du facteur Cheval auxquels Debord n’a cessé de reconnaître un rôle essentiel dans l’entreprise d’être, pour reprendre les formules de Rimbaud, « résolument moderne » et de « changer la vie » ; espace labyrinthique de la ville offert aux innombrables et enivrantes perspectives d’une exploration « psychogéographique », à la jointure donc du physique et du mental ; mais aussi, sur un registre opposé, espace séparé, cloisonné, étiqueté, motorisé et domestiqué sur lequel le régime du spectacle étend une domination qu’il faut contrer par tous les moyens. (…)

L’espace, mais quel espace ? En effet, à l’examen, il se présente sous deux faces dont l’une se présente comme le négatif ou le revers de l’autre. Sur l’une de ces faces, celle qui est régulièrement exposée, s’étale l’espace matériel, apparemment continu ce qui le rend mesurable et utilisable : alors prévaut son aspect fonctionnel, en rapport avec des intérêts généraux abstraitement distingués et déguisés en besoins vitaux (se loger, se nourrir, se reproduire, se distraire, etc.) qui sont répartis entre plusieurs petites cases où ils sont renfermés, et par là dévitalisés. Ce mode collectif de spatialisation est fondé sur le régime de la séparation qui renvoie dos à dos public et privé et métamorphose tout ce qui apparaît dans son cadre en spectacle qu’on regarde comme du dehors, à distance, objectivement au sens propre du mot « objectif » qui signifie « ce qui est jeté au devant », et pour ainsi dire rejeté du fait d’avoir été projeté, c’est-à-dire aussi soumis à des buts d’exploitation. On se figure ordinairement, c’est la machinerie du spectacle qui génère cette illusion, que cet espace-là, que l’exploitation de l’homme par l’homme a rendu coutumier et a routinisé, est le seul vrai, c’est-à-dire qu’il est l’espace « réel », alors qu’il est en fait un pur simulacre, le résultat artificiel d’une projection imaginaire. Cette projection est aliénante dans la mesure où elle produit artificiellement de l’autre, sous forme de représentations destinées à être consommées selon la logique propre à une économie d’objets proposés (pro-posés) à des sujets qui, ne pouvant de toutes façons se dérober à cette offre mirobolante, sont censés en profiter : ils deviennent alors, pour reprendre la formule employée par Feuerbach dont Debord s’est inspiré pour élaborer sa critique du spectacle, objets de leurs objets, dépossédés d’eux-mêmes du fait que leurs activités ont été soumises à des fins extérieures sur lesquelles ils n’ont pas prise. (…)

Le texte de Debord commence par formuler une définition de la dérive : elle est un « procédé », entendons par là une manière de faire, de se conduire, d’être au monde, qui revêt l’allure d’une « technique du passage hâtif à travers des ambiances variées », donc se présente sous les espèces d’un déplacement dans l’espace effectué dans le sens du changement, du dépaysement et à la limite de la rupture, en vue de favoriser l’irruption inopinée du nouveau ; à ce titre, elle relève d’un esprit d’invention en tant qu’acte libre effectué par un sujet ou un groupe de sujets qui entreprennent de modifier leur « situation ». Mais, cette caractérisation initiale ayant été avancée, elle est aussitôt complétée par un correctif qui en infléchit la portée dans la mesure où il fait intervenir dans la production de nouveauté la considération d’un donné antérieur à cette production qui doit en conséquence interférer avec lui.
Pierre Macherey

 

« Entre les divers procédés situationnistes, la dérive se définit comme une technique du passage hâtif à travers des ambiances variées. Le concept de dérive est indissolublement lié à la reconnaissance d’effets de nature psychogéographique, et à l’affirmation d’un comportement ludique-constructif, ce qui l’oppose en tous points aux notions classiques de voyage et de promenade.

Une ou plusieurs personnes se livrant à la dérive renoncent, pour une durée plus ou moins longue, aux raisons de se déplacer et d’agir qu’elles se connaissent généralement, aux relations, aux travaux et aux loisirs qui leur sont propres, pour se laisser aller aux sollicitations du terrain et des rencontres qui y correspondent. La part de l’aléatoire est ici moins déterminante qu’on ne croit : du point de vue de la dérive, il existe un relief psychogéographique des villes, avec des courants constants, des points fixes, et des tourbillons qui rendent l’accès ou la sortie de certaines zones fort malaisés.

Mais la dérive, dans son unité, comprend à la fois ce laisser-aller et sa contradiction nécessaire : la domination des variations psychogéographiques par la connaissance et le calcul de leurs possibilités. »
Guy Debord

Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, George Perec

En octobre 1974, Georges Perec s’est installé pendant trois jours consécutifs place Saint-Sulpice à Paris. À différents moments de la journée, il a noté ce qu’il voyait : les événements ordinaires de la rue, les gens, véhicules, animaux, nuages et le passage du temps. Des listes. Les faits insignifiants de la vie quotidienne. Rien, ou presque rien. Mais un regard, une perception humaine, unique, vibrante, impressionniste, variable.

Extrait :

« Il y a beaucoup de choses place Saint-Sulpice, par exemple : une mairie , un hôtel des finances , un commissariat de police , trois cafés dont un fait tabac, un cinéma, une église à laquelle ont travaillé Le Vau , Gittard , Oppenord , Servandoni et Chalgrin et qui est dédiée à un aumônier de Clotaire Il qui fut évêque de Bourges de 624 à 644 et que l’on fête le 17 janvier, un éditeur , une entreprise de pompes funèbres, une agence de voyages, un arrêt d’ autobus , un tailleur, un hôtel , une fontaine que décorent les statues des quatre grands orateurs chrétiens ( Bossuet , Fénelon , Fléchier et Massillon ) , un kiosque à journaux, un marchand d’objets de piété , un parking, un institut de beauté, et bien d’autres choses encore.

Un grand nombre, sinon la plupart, de ces choses ont été décrites inventoriées, photographiées, racontées ou recensées. Mon propos dans les pages qui suivent a plutôt été de décrire le reste : ce que l’on ne note généralement pas, ce qui ne se remarque pas, ce qui n’a pas d’importance : ce qui se passe quand il ne se passe rien, sinon du temps, des gens, des voitures et des nuages .

1
La date : 18 octobre 1974
L’heure   10 h. 30
Le lieu   Tabac Saint-Sulpice

Le temps : Froid sec.  Ciel gris.  Quelques éclaircies.

Esquisse d’un inventaire de quelques-unes des choses strictement visibles :
— Des lettres de l’alphabet, des mots « KLM » (sur la pochette d’un promeneur), un « P » majuscule qui signifie « parking » « Hôtel Récamier », « St-Raphaël », « l’épargne à la dérive », « Taxis tête de station », « Rue du Vieux-Colombier », «Brasserie-bar La Fontaine Saint-Sulpice », « P ELF », «Parc SaintSulpice ».
— Des symboles conventionnels : des flèches , sous le « P » des parkings, l’une légèrement pointée vers le sol, l’autre orientée en direction de la rue Bonaparte (côté Luxembourg ), au moins quatre panneaux de sens interdit (un cinquième en reflet dans une des glaces du café).
— Des chiffres : 86 (au sommet d’un autobus de la ligne no 86, surmontant l’indication du lieu où il se rend : S aint-Germain-desPrés ) , 1 (plaque du no 1 de la rue du Vieux-Colombier ), 6 (sur la place indiquant que nous nous trouvons dans le 6e arrondissement de Paris).
— Des slogans fugitifs : « De l’ autobus , je regarde Paris »
— De la terre : du gravier tassé et du sable.
— De la pierre : la bordure des trottoirs, une fontaine , une église , des maisons…
— De l’asphalte  »

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Le partenaire de programmation : 


L’ESADMM est un établissement d’enseignement supérieur agréé par le Ministère de la Culture et de la Communication et faisant partie du réseau des écoles supérieures d’art.

L’École, créée en 1752, est installée depuis 1969 sur le campus de Luminy dans un ensemble architectural conçu par René Egger et classé « Patrimoine architectural du xxe siècle ». Elle a pour vocation de former des artistes, des designers et créateurs dans les arts plastiques et visuels.

Voir le site de l’ESADMM

 


 

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