Édito
Petit à petit, et surtout grâce à l’émergence d’une nouvelle génération de réalisateurs et réalisatrices, la création cinématographique s’est enrichie et diversifiée avec une multiplicité de propositions artistiques et esthétiques qui sont allées au-delà du geste de mémoire historique, en puisant aussi dans les histoires personnelles et en usant des ressorts de la fiction. A travers 9 films et un programme d’art vidéo, le cycle propose de parcourir ces 50 années de création traversées par la dictature. Des films qui questionnent le présent et nous aident à comprendre les blessures profondes qui persistent encore dans le Chili contemporain.
Séance en partenariat avec La Cineteca Nacional de Chile
L’ambassade
Chris Marker | 1973 | France | 21 min
Un jour de 1972 à Santiago du Chili, Patricio Guzmán vit se présenter à sa porte un homme mince. Il s’agissait de Chris Marker, qui eut ces mots : “Je suis venu au Chili avec l’intention de filmer une chronique cinématographique. Mais vu que vous l’avez déjà fait, j’aimerais autant acheter votre film pour le projeter.” Il repartit ainsi avec le master de La première année (1971), favorisant ainsi la découverte de Guzmán en France. On sait aussi que Marker fut déterminant d’un point de vue logistique (fourniture d’une partie de la pellicule) pour la réalisation de La bataille du Chili (triptyque réalisé entre 1975 et 1979 par le même Guzmán). L’ambassade appartient évidemment à cette chronique du Chili ; des militants de gauche se réfugient dans une ambassade (on ne saura laquelle), deux jours après le coup d’État du 11 septembre 1973. Ce film et ces anecdotes disent combien Marker imagine son cinéma non comme une œuvre, mais comme un réseau de films, les siens comme ceux des autres, qu’il y collabore (comme par exemple l’écriture du texte dans … À Valparaíso de Joris Ivens, 1962) ou non. L’une des données marquantes de L’ambassade tient d’ailleurs à son énonciation ; d’une part le principe d’images en 8 mm trouvées que le cinéaste prétend reformuler, d’autre part la voix off prononcée en français avec un accent chilien, c’est-à-dire avec une autre voix que la sienne.
L’ambassade, comme souvent chez Marker, fait se rencontrer le vu – l’image – et le dit – la voix off – dans un inextricable dialogue entre le vrai et le faux, avec des effets de correspondance et autant de décrochements de sens, de contradictions, puisqu’il s’agit bien d’une mise en scène à partir d’un matériau ayant une apparence “vériste”. Comment rendre compte d’un événement, faire le récit d’une histoire alors en marche sur son versant le plus tragique ? “Déchiffrer”, “déchiffrage”, “indéchiffrable”, ces mots s’invitent dans un film dont le hors-champ s’avère véritablement obsédant. Lorsque l’extérieur entre dans le cadre, il s’agit d’une ville à l’état spectral ; ou bien carrément d’un effroi : un militant court dans la rue pour rejoindre ses camarades, il est abattu avant d’y parvenir. Dans ce huis clos suffocant, la reprise des programmes télévisés – “fenêtre” qui reste hors champ – aux mains de la junte s’accompagne de ce commentaire grinçant : “de vraies images avec de vrais discours.” Qui faut-il croire entre images et discours ? Régulièrement, le film se tait ; la caméra s’attarde sur des visages hagards, des regards perdus, des postures d’affliction. Les images muettes parlent et nous disent avec puissance l’état de perdition et de dévastation d’êtres déracinés par le vent de l’Histoire ; une forme de vérité atteinte par le truchement de la supercherie.
Arnaud Hée
Así nace un desaparecido
Angelina Vázquez | 1979 | Finlande | 5 min
Exilée en Finlande, la réalisatrice Angelina Vazquez dénonce les disparitions et la torture à travers les dessins de María Vesterinen.
Journal Inachevé
Marilú Mallet | 1982 | Canada | 40 min | VOSTFR
Documentaire-fiction à caractère autobiographique sur l’exil. Une jeune femme vit exilée à Montréal. Elle est cinéaste. Jour après jour, elle réalise un film, un journal où le documentaire, la fiction et sa perception subjective de la réalité s’entremêlent, s’entre fertilisent, jusqu’à formuler un langage cinématographique nouveau, original et fort personnel.
C’est l’exil raconté sous l’angle de la vie quotidienne, ou les faits en apparence insignifiants prennent peu à peu une importance démesurée. C’est le questionnement sur cette nouvelle société québécoise, où déjà deux cultures essaient déjà de cohabiter. C’est l’horreur laissée derrière et la routine quotidienne qui prend le dessus. Dans un discours poignant, le réalisme cède la place à la force du sentiment. Le style est intimiste, « féminin », mais le fond est public : ici, « la vie privée devient politique » quand, sur un mode quotidien, les problèmes collectifs se manifestent. Journal inachevé tient de la correspondance privée, du journal intime et des mémoires. Il consiste en une série d’images retraçant l’enfance et l’adolescence au Chili, les années de l’Unité populaire et le traumatisme du putsch de 1973, puis le présent, à Montréal, personnifié par la mère et les amis chiliens sans permis de séjour, tracassés par l’immigration et la vie présente. L’espagnol maternel, l’anglais conjugal et le français au travail et avec l’enfant se chevauchent en chansons, en musiques, en paroles.
Prix de la critique québécoise à Montréal
Prix spécial du jury au Festival de Biarritz, France
Marilú Mallet
Née à Santiago au Chili. Après avoir fait ses études primaires en France et en Italie, elle suit ses cours secondaires au Chili. Elle se retrouve en anthropologie à l’Université de Californie aux États-Unis. Diplômée de la Faculté d’Architecture de Santiago, elle complète également un certificat d’études cinématographiques à l’O.C.I.C. En 1973, elle s’installe définitivement au Canada. Elle poursuit sa formation au Québec effectuant une maîtrise en Histoire de l’Art, puis un doctorat en Études françaises.
Elle fait ses premières réalisations à l’Office National du film du Canada. Son premier film de fiction Il n’y a pas d’oubli, co-réalisation à trois volets, obtient une mention en 1976 au Festival de Locarno, Suisse. Elle continue de faire des documentaires alternativement en Amérique Latine et au Canada. Parmi ses films les plus connus : L’Évangile à Solentiname (1979), sur le poète nicaraguayen Ernesto Cardenal ; Les Borges (1977) portrait anthropologique d’une famille portugaise paysanne vivant à Montréal. Journal Inachevé (1983), documentaire-fiction à caractère autobiographique sur l’exil, a remporté le Prix de la critique québécoise à Montréal aussi bien que le prix spécial du jury au Festival de Biarritz, France. En 1988, elle reçoit le Guggenheim International Filmaking Award. Mémoires d’une enfant des Andes (1985) a reçu un Bronze Apple Award au National Educational Film Festival d’Oakland, en Californie ; Chère Amérique (1991) a remporté le Prix du meilleur documentaire de création attribué par le SCAM, Fipa, Cannes, France. Double Portrait (2002) a été en nomination pour le prix de la critique de l’ACCQ. La Cueca Sola a obtenu une Mention spéciale de l’Association québécoise des critiques de cinéma 2004 à Montréal, le Prix du Meilleur documentaire canadien (court et moyen métrage) à Hotdocs 2004 (Toronto), et le Prix de la Meilleure réalisation, section Spectrum Canadien (court et moyen métrage) Hotdocs 2004, le Sceau de la Paix, Festival des Films de Femmes, Florence 2004, Italie, le Prix du documentaire au festival des Films La Moviola, Turin, Italie, 2004. Nomination au Prix Gémeaux 2005, Montréal, Québec ; Prix du public au Cine Las Americas International Film Festival, Austin, Texas en 2005. En 2007, elle finit Journal de Francine et Chers Nonagénaires en 2009. Prix du public FIFA 2011, Montréal pour Sur les traces de Marguerite Yourcenar. En 2016, elle finit son dernier film tourné au Chili, Au pays de la muraille enneigée.
Sélection d’extraits d’articles sur le Journal inachevé de Marilù Mallet
Informations pratiques
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📍 Séance au Videodrome 2
Nous pratiquons le prix libre (chaque personne paie ce qu’elle veut/peut/estime juste).
Nous croyons au prix libre comme possibilité pour chacun.e de vivre les expériences qui l’intéressent et de valoriser le travail accompli comme il lui paraît bienvenu. L’adhésion à l’association est nécessaire pour assister aux projections, elle est accessible à partir de 6€ et valable sur une année civile.
En complément du cycle : 3 documentaires à partir du 8 septembre
On vous parle du Chili : ce que disait Allende de Chris Marker et Miguel Littin | (voir ici)
La Cité des photographes de Sebastián Moreno | (voir ici)
Le Pacte d’Adriana de Lisette Orozco | (voir ici)
+ D’autres événements autour de la commémoration des 50 ans du coup d’État au Chili se tiendront à Marseille entre le 9 et le 17 septembre
• 9 septembre à 19h30 | Projection de films Las Patas en La Tierra. Chronique de l’Estallido Social de Gaël Marsaud et Les enfants des mille jours de Claudia Soto et Jaco Biderman au Cinéma Le Gyptis.
• 11 septembre à partir de 17h à Manifesten | Commémoration, rencontre et réflexion autour de 50 ans du coup d’État au Chili. Au programme : Human Library © et présentation chronologique des arpilleras chiliennes, dès l’AFDD à nos jours.
• 11 et 12 septembre à 19h | Installation-performance Nuestras Piedras au Petit Théâtre de la Friche Belle de Mai.
• 14 et 15 septembre | Journées d’études : Passés-Présents. Mémoires, traces et traumas de la dictature dans les arts au Chili à l’Auditorium Bibliothèque de l’Alcazar (programme ici).
• 16 septembre à 20h | Spectacle Je tirerais pour toi du collectif Merkén au Pôle National Cirque Archaos (voir ici).
• 21 septembre à 19h | Présentation du livre Les femmes contre Pinochet – Odile Loubet et les résistantes de l’ombre (Chili 1973-1990) de Samuel Laurent Xu à la Librairie Transit.
• 22 septembre à 18h30 | Projection de Au nom de tout mes frères de Samuel Laurent Xu (2019) à Mille Bâbords.
Avec le soutien de La cinémathèque du documentaire, de La Cinémathèque du documentaire à la Bpi – Centre Pompidou
En partenariat avec La Baleine, Les Variétés, ASPAS, Documentaire sur Grand Écran, La Cineteca Nacional de Chile
Toutes les séances du cycle