Édito
Voici une invitation à arpenter une généalogie des images que l’Amérique renvoie à elle-même en temps de crise. Une psychanalyse cinématographique en six étapes de la déchirure interne propre à la bourgeoisie blanche états-unienne. Si dans les médias les États-Unis sont dits aujourd’hui fracturés, ce n’est pas une première : depuis la Guerre de Sécession, et le triste gâchis de la période de Reconstruction, l’imaginaire national, voir nationaliste, ne cesse d’invoquer une division perpétuelle, suggérant qu’inévitablement, un jour ou l’autre, il y aura des comptes à rendre.
Le cinéma n’a jamais était complètement indemne de cette tension morale, mais en tant que grande fabrique du rêve américain, la machine Hollywood a toujours peiné à dépeindre le revers de sa propre médaille. Ce n’est qu’à la fin des années 1960, alors qu’ils sont fragilisée économiquement par la concurrence montante de la télévision, et désespérément à court d’idées pour regagner leur public, que les studios se tournent vers une jeunesse cinéphile et engagée pour réaliser des films d’un genre nouveau. À la grande surprise de l’industrie, ces films rencontrèrent un franc succès auprès du public surtout par leur mise en cause de la mythologie nationale. Alors qu’aujourd’hui ces films et leurs acteurs semblent plutôt incarner ce mythe américain, peut-être peut-on prendre un peu de recul pour mieux comprendre les atavismes d’une Amérique qui peine à se regarder en face ?
L’époque, 1967-1975, dite de la New Hollywood, ouvre les possibles à de jeunes réalisateurs, fortement inspirés des nouvelles vagues européennes. Ces derniers ont pu apporter une nouvelle touche et une nouvelle sensibilité aux façons d’appréhender la condition américaine, proposant de nouvelles perceptions dans des approches réalistes inédites. Mais tout comme la Contre-Culture a été écrasée par le mouvement massif contre-révolutionnaire de Nixon et Reagan, cet espace-temps d’expérimentation et de prise de conscience au sein même de l’industrie se refermera rapidement avec l’avènement du blockbuster.
Ce n’est pas une coïncidence que cette époque de renouveau cinématographique, et de son succès parmi la jeunesse, correspond étroitement avec celle de la guerre au Viet-Nam et à sa contestation. On imagine mal la nouvelle vague française sans le contexte historique de la guerre dite “sans images” en Algérie. Dans ce cycle, essayons de replacer dans leur contexte ces grands films qui ont façonné la manière dont les États-Unis ont de se regarder, sans jamais oublier pourquoi ils en ressentaient le besoin.
Les 4 longs-métrages de fiction proposés effeuillent un désenchantement et en propose une variation en 4 temps, qui donnera à voir la vie adolescente dans une petite ville texane presque figée dans le temps, à suivre les errances d’un homme accablé par les rêves bourgeois de ses parents, à subir l’absurdité kafkaïenne de la condition de soldats conscrits, à regarder à travers l’oeil même de la caméra d’un journaliste politique pour n’en être finalement que plus blasé. Et comme contrepoint et rappel incessant du vrai derrière les images d’Hollywood, deux documentaires d’Emile de Antonio portant autant sur la guerre qui a hanté « l’esprit du temps » que sur les factions militantes qui ont mené une lutte violente et incessante contre l’État pour en finir.
Les films seront présentés dans un ordre chronologiquement diégétique – et le passage de la fiction au documentaire prendra comme point de basculement 1968, l’année de l’offensive du Tết au Viet-Nam et d’une campagne présidentielle marquée par deux assassinats, à savoir celui de Martin Luther King Jr. et du candidat démocrate Robert F. Kennedy (frère lui-même d’un président assassiné) à moins de trois mois d’écart. Je ne sais pas précisément ce qu’est qu’un soixante-huitard américain, mais ensemble nous pouvons peut-être en dresser le portrait et tenter de comprendre comment il a façonné l’Hollywood que l’on connaît aujourd’hui. En tout cas, cette période, ses modalités, ses manières de se narrer et de ne pas se regarder, je m’en sens encore héritier, ne serait-ce qu’en regardant une série Netflix. Et c’est parfois avec l’amertume de l’occasion manquée, du chemin non pris, que je revois ces grands films qui me permettent de regarder, brièvement, les États-Unis pour ce qu’ils sont devenus, et de mieux me comprendre.
Jake McCarthy Wiener
Les séances du cycle