Yasujiro Ozu mourut le 12 décembre 1963, jour de son soixantième anniversaire. Cinéaste de studio, il laissa derrière lui une œuvre pléthorique, encensée au Japon, ignorée ailleurs.
En France, c’est à la fin des années soixante-dix que l’on commença à découvrir ses films. Il devint alors de bon ton de dire, au sujet du cinéma japonais, que Kurosawa était le cinéaste de l’homme, Mizoguchi celui de la femme, Naruse celui du couple, Ozu, celui de la famille.
De ce dernier, la vulgate consiste à en admirer la rigueur formelle (« Ah, les plans tatamis, caméra à hauteur d’homme assis, ce sens japonais de l’épure ! »), l’obsession thématique (« Ah, cette répétition du thème, le père et la fille à marier, dans ces films aux titres quasi identiques, méditations sur un Japon écartelé entre modernité et tradition ! »), la fidélité aux acteurs (« Ah, c’est comme une troupe de théâtre ! »).
Plus tard on découvrit ses Carnets, chronique des plats qu’il mange, de ce qu’il lit et voit, des bitures qu’il se prend (et texte magnifique, soit dit en passant).
Ainsi, Wikipédia nous dit de lui qu’ « en dehors du cinéma, les seuls centres d’intérêt d’Ozu semblent avoir été la littérature, la boisson, la peinture et la musique ».
Notons qu’une humanité ainsi dépeinte donne plutôt envie d’être rencontrée.
Néanmoins, forçant le trait, l’image communément partagée au sujet du travail d’Ozu, est celle d’un cinéma profondément ancré dans sa culture, et à ce titre, quasi hermétique (bien que nimbé d’aura), épuré, répétant ses formes avec des imperceptibles nuances…
Traduit en français contemporain, du cinéma chiant pour cinéphile (entendre « pseudo intellectuel issu des classes moyennes »).
Les choses allant mieux en le disant, filons cette métaphore scatologique : est-ce à un cycle de cinéma chiant que nous vous convions ?
Mais qu’est-ce à dire ? Aragon écrivait : « Faire, c’est chier », dans son Traité du style.
Ozu, lui-même, dans ses Carnets, en date du mercredi 1er mars 1939, quand il était soldat en Chine, note :
« Je pensais qu’on avait tous le trou du cul rond, mais avec tout ce que j’ai vu exposé en plein air durant cette guerre, il y a de quoi en douter. Des excréments bien ronds, certes, il y en a, mais c’est plutôt la variété qui règne : triangulaires comme sortant d’un obturateur à triple volets, carrés, et j’en passe…. Rouges, tigrés, multicolores, là encore, c’est varié. Ah ! Ce vert étonnant, abandonné un jour dans les latrines, le résultat, sans doute d’un excès de concombre… »
Un léger glissement sémantique peut alors s’opérer :
Si le cinéma d’Ozu est chiant, c’est parce qu’il a du style, et que s’y déploie un sens aigu de l’observation, drôle, précis, humble, direct et cru. Un cinéma de la matière, et qui, la scrutant, en distingue la multiplicité des formes, toujours nouvelles, toujours étonnantes. Dès lors, Ozu peut bien raconter toujours la même histoire, avec les mêmes acteurs : on ne se baigne pas une fois dans le même fleuve. Pas une fois. Rien n’est redit, représenté. Des choses sont dites, présentées, dans leur fugace éclat de nouveauté.
En français contemporain, si l’on trouve chiant le cinéma d’Ozu, peut-être faut-il se demander si l’on n’a pas un peu de merde dans les yeux ?
Mu (無), qui figure comme seule épitaphe sur la tombe d’Ozu, et que nous proposons comme titre de ce cycle, est régulièrement traduit par « vide ». On y entend « néant », et on se prépare à bâiller.
Mais il s’agit du vide sur lequel Pessoa nous dit qu’il nous faut nous prendre appui : il est impermanence, infinies variations, le cœur même de ce qui palpite.
Le cinéma d’Ozu est une peinture de cette palpitation, un émerveillement sans cesse renouvelé pour les plis du vivant.
Et qui ne repose aucunement sur de préalables appétences pour le zen, sur des affinités avec la culture japonaise. Qui vibre sur l’écran, pour nous, à Marseille ou Tombouctou, ici, maintenant. Les sourires et soupirs qu’échangent le père (le plus souvent incarné par Chishu Ryu) et la fille (Setsuko Hara, Ineko Harima, ou Shima Iwashita…), sont une palette de sensations qui ne cesse de s’étendre, de nous confronter à notre intimité.
Shomin geki (littéralement « théâtre populaire ») est le terme, d’invention occidentale, par lequel on désigne un genre de films, ceux s’attachant au quotidien des classes moyennes japonaises. Ce genre englobe particulièrement les films d’Ozu et de Naruse.
A nouveau, ce type de formulation, historico-sociologico-ethnologique, fait redouter l’ennui.
Pourtant, théâtre et populaire sont deux beaux mots, dont la mise en relation peut être puissante.
Par ce cycle, ce n’est pas à des chroniques de la petite bourgeoisie japonaise des années 50 que nous aimerions vous convier, mais au partage de l’émouvante richesse des heures ordinaires de personnages pétris d’humanité.
8 films pour ce partage : l’unique documentaire d’Ozu, La danse du lion ; cinq films où la fille occupe l’esprit du père (et réciproquement), variations sur le thème des saisons : Printemps tardif, Eté précoce, Fleurs d’équinoxe, Fin d’automne, Le goût du saké (improbable traduction de « Sanma no aji », littéralement « Le goût du Sanma », qui est un poisson que l’on déguste en automne). Le voyage à Tokyo, conte cruel, bouleversante exploration des amours filiaux et parentaux, clora ce cycle.
Les enfants pourront partager une séance avec les adultes (et réciproquement, là encore), avec l’hilarant Bonjour, film qu’Ozu ne fit pas pour l’enfance, ni même sur l’enfance, mais bien plus certainement depuis l’enfance.
Le programme du cycle
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